Face aux dessinateurs de mangas qui sortent 48 pages en 2 semaines et face aux dessinateurs de comics qui sortent 48 pages en 2 mois, il est difficile de fidéliser un public avec des dessinateurs de bandes dessinées qui font 48 pages en 2 ans… Donc de plus en plus d'éditeurs ont opté pour la formule gagnante de la collection thématique où interviennent plusieurs auteurs (les puristes crient à l'hérésie, mais il fallait bien trouver une solution pour ne pas dépérir encore davantage face à la concurrence). C'est dans cette optique que Glénat lance sa collection "La Sagesse des mythes", qui veut faire découvrir les textes fondateurs originels (des récits du Ier millénaire avant J.-C. conçu par et pour des gens du du Ier millénaire avant J.-C., c'est casse gueule à retranscrire tel quel pour un public du XXIe siècle après J.-C.), avec l'ancien ministre de l'Education Nationale Luc Ferry au script (un repoussoir pour moi), Clotilde Bruneau au scénario (un aimant assurément), Didier Poli au storyboard (un aimant assurément lui aussi), et divers artistes pour assurer aux dessins et aux couleurs…
Je commence par la forme. Didier Poli est passé par l'Ecole des Gobelins et les studios Disney et cela se sent agréablement : le découpage est particulièrement fluide et dynamique, avec quelques effets de mise en scène vachement intéressants. Les exécutants, Pierre Taranzano aux dessins et Stambecco aux couleurs, nous offrent du mainstream certes, mais du mainstream de belle qualité même si on sent le film "Troie" de Wolfgang Petersen dans le rétroviseur (il faudra m'expliquer pourquoi Athéna blonde, brune, rousse ou albinos change aussi souvent de couleurs de cheveux ^^). On n'est pas au niveau de la superbe couverture de Fred Vignaux certes, c'est quand même du bon travail très agréable pour les yeux !
Sur le fond la sympathique Clotilde Bruneau fait au mieux qu'elle peut avec le script de Luc Ferry… La première page reprend une version du mythe, alors que tout ce qui s'ensuit en développe une autre… Ensuite on veut coller au texte d'origine avec une suite d'épisodes loin d'être connectés les uns avec les autres : la peste qui s'abat sur les Achéens, la colère d'Achille, le duel entre Pâris et Ménélas, l'attentat de Pandoros qui fait capoter les pourparlers de paix, l'aristé de Diomède qui en voulant commettre un déicide tombe dans l'hybris… Et c'est des flashbacks qui font le lien entre ces scènes : le mariage de Téthys avec Pelée, la Pomme d'Or de la discorde, la naissance de Pâris… J'ai compris que les immortels réglaient leurs comptent à travers les Achéens et les Troyens, sous le regard d'un Zeus censément impartial qui se montre sourd aux jérémiades des uns et des autres, mais pourquoi Hector change radicalement d'avis (il compatit aux tourments de son frère avant de le bolosser comme c'est pas permis puis de le vouer aux gémonies, excuser l'anachronisme), et pourquoi Hélène pourtant au coeur des enjeux du conflit n'apparaît pas une seule fois, c'est pour moi un mystère…
Les appendices élaborés par Luc Ferry, coordinateur du projet, sont particulièrement indigestes et comptent parmi ce que j'ai lu de plus médiocre en la matière… Je veux vraiment croire en sa sincérité, mais c'est d'une incroyable balourdise.
On est dans le plus pur style de l'Âcadémie Française, entre naïveté et grandiloquence, vulgarisation et érudition, pédagogie et pédantisme, avec des figures de styles désuètes, des tournures de phrases surannées et une pelleté de digressions ! Je n'ai pas le courage là maintenant, mais je posterai ultérieurement des extraits où se distinguent vérités de la Palice, enfonçages de porte ouverte, private jokes trop lourdes et explications trop légères…
Déjà comparer la place des mythes dans l'Antiquité avec celles des contes dans les sociétés modernes est un raccourci immensément dangereux (même si la mythologie comparée peut s'avérer astucieuse, comme la comparaison entre Eris et la sorcière de la Belle au Bois Dormant). Ensuite Luc Ferry part immédiatement sur une version de la Guerre de Troie, celle qui en fait la continuation de l'épisode de la Pomme d'Or en mettant de côté les autres versions du mythe pourtant plus riches et plus profondes. Enfin, il centre "L'Iliade" sur 3 épisodes :
- sur la généalogie d'Achille, figure majeure sinon centrale de "L'Iliade", premier parmi les hommes certes, mais surtout premier après les dieux alors qu'il aurait pu faire partie d'eux… L'interprétation de Luc Ferry qui nous explique que Zeus a refilé la patata chaude du conflit de générations aux humains en mariant Téthys à Pelée le plus petit roi des mortels ne m'a pas convaincu… Cet épisode fait partie des nombreux stratagèmes de Zeus pour consolider son pouvoir (renversement de Cronos, neutralisation de ses frères Hadès et Poséidon aussi forts de que lui, mise à l'écart de Métis et Prométhée aussi intelligents que lui…) Et puis si Zeus voulait éviter le conflit de générations, il aurait pu y penser avant Apollon, Artémis, Athéna, Arès, Hermès, Héphaïstos et cie…. Et puis quand on a fait un peu de mythologie comparée, on s'aperçoit qu'Achille et Siegfried sont porteurs des mêmes allégories qui ne sont pas du tout celles mises en avant par Luc Ferry…
- on revient sur la Pomme d'Or et son lien avec Prométhée… Whaou, ça c'est capillotracté ! Dans "L'Iliade" la Pomme d'Or est juste un putain de McGuffin, d'ailleurs le récit des origines de la Guerre de Troie est postérieur au récit de la Guerre de Troie donc il ne faut pas lui accorder plus d'importance que cela (c'est la fameuse malédiction des préquels ^^). Et puis, il faut quand même être piètre manieur de sources pour accorder plus d'importance à un commentaire du pseudo-Appolodore qu'à l'oeuvre d'Hésiode bordel de merde !
- on revient sur le destin de Pâris… pas la peine d'en faire un fromage, là aussi si on a fait un peu de mythologie comparée on s'aperçoit que Pâris est comme Oedipe et comme Jason une allégorie de la fatalité à laquelle personne ne peut échapper…
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