AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Clelie22


On peut s'écharper à longueur de repas de famille sur "faut-il autoriser le mariage homosexuel ?" (de toutes façons, maintenant, c'est fait...) et sur "faut-il autoriser l'adoption, la PMA et/ou la GPA pour les couples homosexuels ?", le fait est qu'il existe des couples homosexuels en France et des familles homoparentales. L'homosexualité est un sujet qui est de temps en temps abordé dans la littérature jeunesse mais généralement du point de vue des ados eux-mêmes, de la découverte de l'homosexualité, en somme. L'originalité de "Frangine" est de l'aborder du point de vue des enfants d'un couple homosexuel. Cela permet de désamorcer d'entrée de jeu la gêne ou le rejet de principe que peut parfois générer ce sujet.

Seconde originalité, le narrateur n'est pas véritablement le héros de l'histoire, comme il le précise lui-même :
"J'aimerais annoncer que je suis le héros de cette histoire, mais ce serait faux.
Je ne suis qu'un morceau du gâteau, même pas la cerise. Je suis un bout du tout, un quart de ma famille. Laquelle est mon nid, mon univers depuis l'enfance, et mes racines, même coupées.
Je ne suis pas le héros de cette histoire - parce que nous sommes quatre.
Etroitement mêlés, même quand on l'ignore, même quand on s'ignore."
Si le roman a pour sujet le harcèlement dont peuvent être victimes les enfants d'homosexuels, cela n'est pas raconté du point de vue de la victime mais de son frère, ce qui change des choix narratifs habituels de ce genre de romans. L'intérêt de ce choix, c'est qu'il retranscrit très bien l'impuissance que l'on peut ressentir lorsqu'un de nos proches est harcelé : la difficulté à se rendre compte de la gravité des faits, de la souffrance ressentie et, une fois que les yeux sont décillés, le sentiment d'impuissance et la colère. Ce que j'ai apprécié, également, c'est que Joachim, le grand frère narrateur, n'est pas celui qui arrive et défend sa petite soeur à coups de poing. Pauline va trouver elle-même le courage de s'imposer et de se défendre, réduisant ainsi son frère au rôle de spectateur, prenant en main sa propre vie.

Finalement, ce livre ne parle pas tant de l'homoparentalité que de la bêtise de certaines réactions et de la cruauté du harcèlement. Il fait un tour exhaustif de la question, montrant non seulement les réactions idiotes des adolescents mais aussi les attitudes contrastées des adultes, parents d'élèves, enseignants, grands-parents. Ce livre montre aussi ce que c'est que grandir, s'affirmer et peut, en cela, aider peut-être certains jeunes mal dans leur peau, qu'ils soient enfants d'homosexuels ou non. Par ailleurs, il aborde au passage d'autres sujets comme les amours adolescentes, les milieux sociaux défavorisés, etc. sans que cela parasite l'intrigue principale. Au contraire, tout cela forme un tout aussi riche et complexe que la vie elle-même.

C'est un livre solidement ancré dans notre époque mais qui, à mon avis, ne vieillira pas trop car il ne contient pas vraiment de références aux modes passagères (musicales et technologiques, par exemple). Et, malheureusement, je crains qu'il ne reste encore longtemps "d'actualité", tant que les gens n'auront pas compris qu'on peut désapprouver l'homosexualité sans rejeter les homosexuels et leurs enfants.

En ce qui concerne le style d'écriture, l'auteur a fait le choix de rendre la façon de parler d'un jeune, exercice casse-gueule s'il en est. Elle s'en sort pourtant avec beaucoup de justesse et en rendant parfaitement les émotions de Joachim. Enfin, elle réussit avec beaucoup d'efficacité (pas de longueurs) à donner vie et consistance à ses personnages et aux situations qu'ils vivent. le choix de faire parler un ado n'empêche pas Marion Brunet de montrer une belle plume, avec quelques phrases bien troussées. On pourrait chipoter un peu sur les quelques entorses qu'elle fait aux principes du narrateur interne (elle nous raconte des scènes auxquelles Joachim n'assiste pas et les pensées d'autres personnages qu'il ne peut connaître) mais la qualité de l'ensemble et la pertinence de ces passages-là (en particulier celui sur M. Martel) font qu'on lui pardonne volontiers ces écarts.

En résumé, j'ai plutôt bien aimé ce livre mais j'ai surtout apprécié sa subtilité, sa justesse de ton et sa qualité d'écriture, ce qui en fait un livre que je recommanderai volontiers aux lecteurs adolescents (à partir du lycée, cependant, à cause de quelques scènes explicites). Une petite réserve, néanmoins : le fait que le récit contienne des flash-back, des ellipses et des scènes focalisées sur d'autres personnages que le narrateur peut gêner les lecteurs peu à l'aise (je sais que ce genre de choses perturbe certains de mes élèves).
Commenter  J’apprécie          90



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}