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Critique de encoredunoir


Johanna, quinze ans, et Céline, son aînée d'un an seulement, vivent avec leurs parents dans un patelin du Luberon. Dans le Luberon et autour il n'y a pas que des Anglais, des Américains ou des Parisiens qui ne savent pas trop quoi faire de leur argent, il y a aussi des autochtones. Johanna et Céline en sont. Famille de prolos. Un père maçon espagnol de la deuxième génération et une mère, elle-même fille d'agriculteurs du coin, tombée enceinte trop tôt. Enceinte, Céline l'est aussi et, malgré les torgnoles de son père, elle refuse de donner le nom de celui qui lui a fait cet enfant à naître. L'été qui vient ne sera pas le même que les précédents. La fête foraine aura un autre goût, les excursions clandestines dans les piscines de villas de millionnaires occupées quinze jours par an ne seront que la décalque sans couleurs des aventures des été adolescents d'avant. Il va falloir vivre avec le poids des regards des autres, avec le qu'en dira-t-on, et avec la sourde menace du père déterminé à trouver celui qui a fait ça.
On s'en doute un peu, et très vite, la tension qui s'instaure ne peut déboucher que sur un drame, mais ce n'est pas que de cela que parle Marion Brunet dans L'été circulaire. Ce dont elle parle, c'est, tout bêtement, des gens. Pas des héros. Loin là. Des salauds, un peu, et même parfois un peu plus que ça. Des gens normaux, en fait, et qui subissent. C'est ce que sont Manuel et Séverine, les parents des deux adolescentes. Ils ne sont pas pauvres à proprement parler, mais tirent parfois le diable par la queue. Ils sont insatisfaits de leur vie mais s'en contentent. Ils savent sans doute où ils ont merdé mais seraient certainement incapables de faire autrement s'ils devaient recommencer. Ils savent que c'est un peu de leur faute, ne sont pas du genre à s'en prendre à la société, mais plutôt aux voisins arabes…
La grossesse de Céline, dans ce contexte, c'est un peu la perpétuation des erreurs des parents. Et l'acceptation, la colère muette, n'est encore qu'une marque supplémentaire de cet atavique fierté mal placée qui veut que l'on courbe l'échine et que l'on ne cherche pas de responsables ailleurs. C'est, en fin de compte, le dernier des désespoirs ; quand on se laisse enfermer dans le rôle que l'on nous a choisi. Johanna, la faute peut-être à ses yeux vairons qui lui font voir le monde autrement à force d'être elle-même vue comme une personne dont la différence dérange, est celle qui ne se satisfait pas de ça. Elle voit plus loin, plus large, au-delà de ce monde trop étroit pour elle. Pire, elle lit des livres et va au théâtre. Elle est libre. Elle le croit, du moins. Pas sûr que ça suffise à la sauver.
Johanna, Céline, Séverine, Manuel, Patrick ou Saïd, ce sont autant de petites histoires qui s'entremêlent avec subtilité et disent la peur du déclassement de ceux qui ne voient pas qu'ils sont déjà déclassés, et l'envie d'un ailleurs qui, comme la queue de Mickey dans un manège, semble toujours à portée de main mais quand même toujours un peu trop loin. Avec L'été circulaire, et en se contentant de suivre ces trajectoires molles ou fulgurantes, Marion Brunet démontre s'il en était besoin que l'on peut écrire un roman noir et éminemment politique sans grandes démonstrations ni discours pontifiants.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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