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Critique de Antyryia



Tour Eiffel : 324 mètres de haut.
Statue de la liberté : 93 mètres de haut
Tour de Pise : 56 mètres de haut. 
Big ben : 96 mètres de haut.
Cheval rouge : 76 mètres de haut. 
 
Moins connu, ce dernier monument est implanté dans le désert du Texas, à proximité de la ville d'El Paso, aux abords du Rio Grande. 
"Soixante-seize mètres de haut ! Structure métallique recouverte de plaques de marbre rouge poli."
De forme équine, ce bâtiment gigantesque dispose comme la pyramide de Khéops ( 139 mètres de haut ) de sa propre salle funéraire, futur tombeau de son concepteur milliardaire Rex Heller. 
 
Mais si, rappelez-vous ! Rex Heller, qui incarnait Rodéoman dans la célèbre série Cheval rouge, qui concurrençait Zorro ! Un feuilleton qui a eu de nombreux fans mais qui a fini par s'arrêter à cause d'un grave accident. Un taureau a en effet piétiné le célèbre acteur, le blessant grièvement et le paralysant. 
"C'est un feuilleton de vieux. Mal foutu, avec des acteurs qui paraissaient déguisés pour un spectacle d'amateurs à la foire au jambon fumé de Virginie."
Rodéoman, c'était le rôle d'une vie. L'acteur et le personnage de fiction ont fini par ne faire qu'un et toute la vie de Rex se résume désormais à ce cow-boy qu'il a incarné. Alors, ses milliards de dollars il va les investir dans la création d'un parc à thème : Rodéoman City. Une véritable ville de far-west grandeur nature qu'il espère bien pouvoir inaugurer de son vivant, mais rien n'est moins sûr avec le caillot de sang qui se ballade dans son cerveau. 
"Faut-il y voir la lubie d'un vieillard confronté à sa mort prochaine ?"
 
J'ignore où Serge Brussolo trouve ses idées de romans. Chacun de ses livres propose des sujets inédits, des thèmes un peu frappadingues qui n'ont absolument rien en commun avec les modes littéraires dont il s'est toujours affranchi. Déjà sa troisième publication en 2017 après Les geôliers et le manoir de l'écureuil : J'ai l'impression que pour ce prolifique écrivain rien ne compte davantage que de coucher par écrit toutes les folles idées qui lui traversent l'esprit. Des dizaines et des dizaines par livres. A l'image de ce bain de sang de taureaux, animaux sur lesquels ont été posées des charges explosives et dont le poitrail va exploser à quelques mètres seulement d'Heller dans un premier chapitre d'anthologie.
Même si chaque écrit a un début et une fin, j'imagine que le plan de départ demeure très succinct et que l'auteur se laisse déborder par son imagination pour nous offrir une succession de séquences jubilatoires, absurdes et imprévisibles qu'il traduit frénétiquement avec ses mots.
On ressent un plaisir dans l'écriture qui se traduit bien sûr par une lecture addictive. Et même si ça ne fonctionne pas toujours aussi bien en fonction des romans, ici je me suis pris au jeu avec plaisir. Brussolo s'attaque au western, et pour un résultat des plus stupéfiants.
 
A Rodéoman city sont embauchés d'anciens acteurs qui ont sombré dans l'oubli. 
"Comme tu vas t'en apercevoir la ville est peuplée de fantômes, les fantômes d'Hollywood."
"Il a sauvé de la misère noire tous ceux qui travaillent ici : acteurs, décorateurs, maquilleuses, éclairagistes, mais également des scénaristes et des profs d'art dramatique."
Ce qu'offre Rex Heller, c'est ni plus ni moins qu'un emploi à vie, qui plus est très grassement rémunéré. Sont notamment salariés de cet étrange parc d'attraction d'anciens de la série Cheval rouge à qui il a tendu la main.
Mais il existe deux contreparties à ce contrat juteux :
- A de rares exceptions près il est interdit de quitter cette ville de Far West.
- le parc a été reconstitué de façon à respecter scrupuleusement, jusque dans les moindres détails, une ville telle qu'elle aurait pu exister au XIXème siècle. 
"Devant elle s'étend la reproduction d'une cité de l'Ouest sauvage, telle qu'il en existait en 1830."
Les téléphones portables, les ordinateurs y sont donc bien sûr interdits, et chacun doit se promener en costumes d'époque. Les femmes sont dans l'obligation par exemple de mettre un corset. Comme protégée par un dôme invisible, la modernité est proscrite de ces lieux. Il n'y a pas d'hôpitaux ni de médecins, les blessés sont soignés dans des granges par des femmes incarnant le rôle d'infirmière. Il n'y a ni salles de bain ni W.C. On y boit les tord boyaux qui étaient servis dans les saloons de l'époque, on y mange dans des cantines des mets authentiques ( haricots à la tomate, bacon, épis de maïs ). 
Occasionnellement, la pendaison peut elle aussi y être pratiquée.
 
Quant aux activités proposées, elles consistent à reproduire les scènes les plus célèbres de cette partie de l'histoire des Etats-Unis comme le Pony Express ( système révolutionnaire de distribution du courrier ), la bataille de Little Big Horn où le général Custer et ses hommes ont succombé aux assauts des Indiens menés par Sitting Bull. D'anciens acteurs incarneront des célébrités comme Jesse James ou Buffalo Bill.
Et tout est conçu pour rendre les scénarios les plus authentiques possibles aux yeux des futurs touristes, avec toute la démesure propre à Brussolo
"Merde c'est comme si on jouait dans le même film une vie durant... Un tournage qui n'en finirait jamais. L'enfer, quoi !"
 
Et c'est dans ce contexte que va arriver Mia, une couturière surdouée, accompagné d'un petit ami acteur et drogué.
Rex Heller a eu une liaison complexe avec Zelda Marlowe, actrice depuis décédée qui avait fait quelques apparitions dans Cheval rouge. D'une beauté stupéfiante avant que les années ne la rattrapent, Zelda était également bipolaire et collectionnait les aventures. 
"Zelda Marlowe, c'était la glace et le feu réunis en une seule femme. La gentille princesse et l'affreuse sorcière."
"Ce qu'elle aimait, c'était rendre les hommes fous d'elle, rien de plus."
Mia est la fille de Zelda, le grand amour de Rodéoman. Et Heller a toujours eu un doute sur l'identité de Mia. Même si sa bien-aimée n'était pas fidèle, cette jeune fille pourrait bien être la sienne. Et à l'approche de sa mort, il voudrait bien être fixé. Parce que si tel est le cas, il a des projets pour elle. Elle serait alors la potentielle légataire de son immense fortune. 
 
Critique du cinéma, Cheval rouge insiste beaucoup sur les revers de la médaille du métier d'acteur et se moque gentiment au passage du septième art. Brussolo évoque au travers de son livre les acteurs d'un seul rôle qui ont ensuite sombré dans l'oubli ou qui ont fini par incarner leur personnage au quotidien, même en dehors des plateaux de tournage ( Bella Lugosi, qui incarnait Dracula, a finalement dormi dans un cercueil et a été enterré avec son costume de vampire ). Il évoque les femmes qui ont parfois des difficultés à retrouver des rôles passé un certain âge, les acteurs enfants qui refusent de grandir, les depressions des comédiens parce que les scénaristes ont tué leur personnage, les problèmes de drogue, les fans qui collectionnent tout sur leur star préférée jusqu'à l'obsession. Tout est traîté avec beaucoup d'humour et de second degré mais en écorchant tout de même avec une relative justesse l'industrie hollywoodienne.
"Le cinéma, c'est la jungle. Mieux vaut être un loup qu'un chevreau."
De même, Brussolo nous donne de nombreuses informations, nous livre quelques anecdotes, tord le cou à certaines idées reçues ( comme les Indiens qui ne se sont pas servis longtemps d'arcs et de flèches ) et propose comme dans presque tous ses livres une petite touche culturelle intéressante, rétablissant certaines vérités en les intégrant habilement à son récit. 
 
Des défauts il y en a également. Ca n'est évidemment pas très crédible mais quand on lit cet auteur, c'est pour cette grande bouffée de n'importe quoi qui parfois fait du bien et qui donne de ce fait à chaque fois un résultat étonnamment décalé et plaisant.
L'impression qu'il ne savait plus trop quoi faire de certains protagonistes dans la troisième et dernière partie m'a également sauté aux yeux, en même temps c'est aussi une de ses caractéristiques. A la façon Game of thrones, les héros brussoliens ne sont pas assurés d'une fin heureuse et les seconds couteaux peuvent prendre d'un seul coup bien davantage d'importance. Ici c'est quand même dommage, on sent que des personnages importants n'étaient finalement là qu'en tant que faire-valoir, comme pour illustrer une idée supplémentaire avant de devenir inutiles, auquel cas l'écrivain ne va simplement plus s'en embarrasser. 

Mais ça faisait longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à relire cet auteur. Les personnages, même s'ils souffrent de quelques stéréotypes, ont davantage d'envergure. J'ai aussi beaucoup appécié l'aspect visuel très maîtrisé et j'ai facilement imaginé cet immense cheval rouge dans le désert, de même que les scènes de western se sont vraiment imposées à mon esprit enfiévré.
Bref un livre à l'imagination totalement débridée qui m'a fait passer un bon moment, et c'est avec un grand plaisir que j'ai retrouvé Serge Brussolo et ses visions hallucinées. 
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