Chaque chose que je vois en rappelle une autre, manquante, et me serre le cœur. Un toit de tôle déchiquétée balance dans le vide à l'angle d'une ruine, et l'on se souvient des feuillages. Un panache de poussière blanche s'élève, on songe aux papillons. Une fumerolle flotte au vent, et c'est un vol d'oiseaux.
Projetée sur un pan de mur d'un blanc de brume, au fond de ce qui a pu être la cour intérieure d'un temple, l'ombre portée d'un vieux pin dont même la souche a disparu, consumée au ras des dalles décolorées. Un long moment passe avant que m'apparaisse l'étrangeté de cette ombre en l'absence de tout soleil ; plus curieusement, l'absence de l'arbre, elle, ne me frappe pas du tout.
La nuit,l'aube,le jour:trois sortes de silence jusqu'à n'en plus faire qu'un.
La nuit de plus en plus calme, très noire - et d'un noir plus profond ,plus opaque. Pas une étoile au ciel,pas une lampe allumée dans la ville, seulement le grand cèdre qui brûle toujours , loin d'ici, au-dessus des ruines obscures - moins comme un phare sous le ciel que comme une lampe au fond d'une mine.
Au début, je me souviens j’ai voulu fuir. Si je ne l’ai pas fait, c’est que j’étais trop faible sans doute, mais il y avait autre chose encore : ce besoin de voir que me dictaient mes yeux, ce besoin d’arpenter qui ranimait mes membres endoloris, ce besoin de recueillir la moindre bribe de parole ou alors de parler en lieu et place du mutisme des autres, d’articuler quand ils ne pouvaient plus que gémir, de penser des pensées d’hommes alors que les hommes avaient cessé d’être des hommes, réduits à la chair souffrante et à l’angoisse terrifiée d’eux-mêmes.
Dans une interviewe l’écrivain affirme que son héros, c’est lui :
« Le réveil, tous les matins, c’est pour moi un peu comme Hiroshima car passer du sommeil à la veille est une épreuve qui me dit que je suis plus vieux d’une journée, qu’il va falloir affronter la réalité, savoir que cette journée me rapproche de ma fin. Mon roman est une confession. »