Une fois extrait de la gangue de terre et de roc qui l'abrite encore pour l'instant, que durera ce que nous aurons exhumé d'ici ? Quelques siècles ? Quelques générations ? Quelques décennies à peine ? Autant dire que nous l'aurons détruit dans l'heure en le mettant au jour !
Mais à quoi bon échafauder des hypothèses ? Jusqu'à avoir atteint la dépouille (et même alors), que pourrions-nous comprendre de ce qui faisait mourir un être en ces temps-là, sachant si mal ce qui le faisait vivre ?
Exhumant la sépulture, nous nous apprêtons en somme, tels des chirurgiens, à ôter le corps étranger resté logé sous la peau de la vallée, la laissant enfin libre enfin de se refaire un visage où l'homme ne soit pour rien.
Au lever, dans l'air glacé du matin, le site me frappe soudain par son aspect odieux : hier encore pareil à un coussin de mariée, le tertre aujourd'hui éventré, balafré d'une étroite tranchée noirâtre, évoque distinctement un viol.
Le temps passe comme trois voleurs :
le passé comme un receleur
le présent comme un faussaire
le futur comme un escroc.
Nous témoignerons donc:
quelqu'un était là-bas.
Le croisant en chemin
nous avons cru le reconnaître,
nous lui avons fait signe,
il ne nous a pas vus
-ou n'a pas reconnu
nos gestes pour des signes
Nous avons appelé,
il n'a pas répondu
-ou,entendant son pas,
n'avons-nous su reconnaître une voix?
Le regard innombrable du feu
fixant le fauve au fond de nos yeux.