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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de tout autre. Il contient les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2016/2017, écrits par Brian Buccellato & Jennifer Young, dessinés et encrés par Matias Bergara, et mis en couleurs par Brian Buccellato.

L'histoire se déroule dans la ville de Willow, quelque part en Floride, et aux alentours. le récit débute un soir dans le Bar & Grill de Roy. Jimmy, un adolescent qui sert d'homme à tout faire, sort les poubelles. Il repère un individu qu'il connaît et qui lui conjure de rentrer à l'abri. Jimmy le prend à parti en lui indiquant qu'il doit arrêter de rôder autour du bar. L'autre se jette sur lui et le mord sauvagement. le hurlement fait sortir les clients et Roy, et la police arrive rapidement en la personne du shérif Lee Mays. Ce dernier demande à tout le monde de rester calme, mais Roy est persuadé qu'il s'agit d'un cas de cannibalisme causé par une épidémie. Pendant ce temps-là, Danny est parti en douce pour se planquer. Cash Hansen est parti chercher Jolene, sa copine, qui est danseuse exotique dans un établissement du coin.

Les mecs du bar ont décidé d'organiser une battue dans les bois avoisinants pour essayer de retrouver le fugitif et l'un d'eux retrouve sa trace. Danny demande à Grady s'il peut s'installer chez lui en attendant que ça se tasse pour lui. Louise est en route pour Willow, amenant Boone (un jeune garçon) à Danny (son père) parce que Nicole (l'ex-femme de Danny) ne veut plus avoir à s'en occuper. Peu de temps après son passage dans une station-service, une autre agression par cannibale a lieu sur le pompiste. Se rendant chez elle, Cash Hansen constate que la maison de Jolene est sens dessus dessous, et qu'elle a été enlevée.

Le titre de la série indique immédiatement qu'elle présente une dimension horrifique basée sur un acte tabou. La couverture indique que l'histoire se déroule dans une partie rurale des États-Unis, où les gens du coin partagent leur temps entre la pêche et la bibine, sans oublier les armes bien sûr. le lecteur s'attend donc à une ambiance bien poisseuse avec quelques ploucs bas du front. Effectivement, il y a quelques conventions du genre : les individus armés, les bagarres, une forme de romantisme des plus primaires (un des personnages qui se répète des phrases pour demander sa copine en mariage), des gros pickups, une partie de pêche, et une suspicion vis-à-vis de l'étranger qui se transforme rapidement en haine. Brian Buccellato installe une ambiance un peu pesante, un peu crépusculaire, avec des pages qui baignent dans des nuances de brun et de gris, évoquant une luminosité imprégnée du règne végétal, de la terre, et pas toujours suffisante pour y voir bien clair.

Matias Bergara réalise des dessins descriptifs, avec un bon niveau de détails, et une légère déformation des traits de contour pour donner plus de vie aux personnages. Au cours de ces 4 épisodes, il emmène le lecteur boire un coup dans le bar & Grill Hog's River, à plusieurs reprises. C'est une construction spacieuse et bon marché, abritant pas mal de tables. le dessinateur ne s'attarde pas sur le menu détail des tables et des chaises, mais il donne un bel aperçu du comptoir et de la décoration qui le surplombe dans l'épisode 4. À plusieurs reprises, ce dessinateur prend le temps de représenter différents lieux avec soin : la station-service, le salon d'accueil de la maison de repos où réside grand-mère Pearl (la grand-mère de Jolene), l'intérieur du commissariat, ou encore la maison de Louise quand Danny y séjourne. Ces endroits représentent une Amérique bon marché, des constructions qui ne sont pas faites pour durer, des ameublements prêts à l'emploi. de la même manière, les tenues vestimentaires reflètent une préoccupation utilitaire, sans grande préoccupation des modes passagères.

Matias Bergara crée une importante galerie de personnages ; Roy, Grady, Cash, Danny, Boone, Nicole, Jimmy, le shérif, Louise, Jolene, Pearl, Carl Moore et sa fille, Giley (responsable de la station-service), Richie, Peggy, les frères Jesse & Andrew Gilroy, et quelques autres encore. Il s'attache à les rendre reconnaissables par des morphologies et des visages différents, avec des coiffures différentes. Il réalise des traits de contour un peu irréguliers, des aplats de noir aux formes également irrégulières, et quelques rares traits secs à l'intérieur des surfaces pour leur donner un peu de texture. Cela aboutit à des dessins vivants, parfois un peu chargés en noir, et à quelques gueules un peu marquées, comme celle du shérif. Ce dessinateur connaît les trucs et astuces pour éviter d'avoir à dessiner les arrière-plans, mais il les utilise à bon escient, sans en abuser. Il développe une ambiance oppressante, sans pour autant recourir à des gros plans sur les blessures, ou les plaies.

Les coscénaristes plongent le lecteur dans cette région, au milieu de gens qui se connaissent, sans prendre le lecteur par la main. Celui-ci a intérêt à être concentré dès le début de sa lecture pour bien assimiler qui est qui. En particulier, les personnages ne prononcent qu'une fois ou deux le nom des uns et des autres, ce qui exige un effort de mémoire pour le lecteur pour savoir de qui quelqu'un parle s'il n'est pas présent. Il doit donc être attentif à la quinzaine de personnages qui évoluent, ne sachant pas s'ils sont importants ou non, dès ce premier tome. Il ne découvre également que dans la deuxième moitié la raison pour laquelle Danny se dérobe à chaque fois que le shérif Lee Mays arrive dans le secteur. Il appartient donc au lecteur de retenir les informations, pour pouvoir les lier entre elles ultérieurement. Par exemple, les personnages ne font que quelques remarques éparses concernant le cannibalisme et il appartient au lecteur d'en déduire qu'il s'agit d'une épidémie d'un genre non précisé, qui a conduit le gouvernement à prendre des mesures, comme par exemple détenir tout suspect pendant une durée minimum de 72 heures. Cela permet de constater s'il souffre d'une faim dévorante ou non, et donc de se constituer une certitude raisonnable d'infection ou non.

Sous réserve de se montrer participatif, le lecteur comprend les liens qui unissent les différents personnages, à commencer par qui sont les fils de Roy. L'intrigue principale tourne autour de plusieurs fils : l'existence d'individus se livrant au cannibalisme (selon des règles qui ne sont pas explicitées dans ce tome), la disparition de Jolene, les raisons pour lesquelles Danny se cache, et l'enlèvement brutal de Sam Lang qui se livrait à la pêche. Les coscénaristes ont donc prévu une intrigue bien fournie dont ces 4 épisodes ne permettent que d'entrevoir le début. Ce premier tome constitue donc un prologue, une entrée en matière, comprenant déjà beaucoup d'informations et de scènes d'action.

Ce récit se situe dans le genre polar, avec plusieurs enquêtes (la disparition de Jolene et celle de Sam Lang) mâtinées d'une touche d'horreur (le cannibalisme), le tout dans un environnement très particulier (les marais de Floride). le lecteur établit une comparaison avec la série Scalped de Jason Aaron & RM Guéra. La comparaison est flatteuse, mais dangereuse pour Cannibal au vu de la qualité de Scalped. Pour commencer, les auteurs ne réussissent pas aussi bien qu'Aaron & Guéra à établir une personnalité pour chacun de leurs protagonistes. Ils sont trop nombreux pour pouvoir tous exister au-delà de leurs actes, les dialogues ne portent pas leur caractère et il n'y a pas de voix intérieure qui viennent commenter ce que voit le lecteur. En outre la dimension sociale de ce milieu est pour l'instant plus caricaturale que dans Scalped. Aaron & Guéra commençaient dès le premier tome à montrer la pauvreté régnant dans la réserve. Ici il s'agit d'une classe populaire, avec certains proches du seuil de la pauvreté, mais sans que cela ne dicte leur conduite, ou ne les emprisonne dans une condition sociale. Enfin, la violence est moins viscérale que dans Scalped. Certes Cash Hansen se laisse emporter par son inquiétude générée par la disparition de Jolene, jusqu'à tabasser celui qu'il croit coupable, et à le faire sous les yeux de sa fille. C'est glauque, primal, sans que le lecteur ne soit complètement emporté par cette fureur faute d'assez bien connaître les personnages. La réaction très communautariste des frères Jesse & Andrew Gilroy sonne juste tout en restant assez proche d'un stéréotype.

À la fin de ce premier tome, le lecteur se dit que les auteurs ont réussi à donner vie à ce coin des États-Unis et à le peupler d'individus plausibles. Ils ont également réussi à développer plusieurs fils de l'intrigue, sans que la narration ne ploie sous la masse des informations à ingérer. Les pages montrent des endroits et des individus pleins de caractère. Mais le lecteur ne saurait dire si cette série est promise à un brillant avenir, ou si les auteurs privilégieront la mécanique de l'intrigue, aux dépends des autres dimensions de l'histoire, restant ainsi dans le récit de genre. 4 étoiles en restant prudent, 5 étoiles en étant déjà sous le charme.
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