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Critique de Woland


Etoiles Notabénistes : ******

Het Bloed In Onze Aderen
Traduction : Isabelle Rosselin

ISBN : 97823300768867

Avant d'entamer votre lecture, merci de vous rappeler que les termes "socialiste, gauche, anarchiste, communiste, conservateur, libéral ...", que beaucoup d'entre vous ont connus porteurs d'une certaine signification, ont perdu celle-ci au XXIème siècle, et pas seulement qu'en Espagne. Nous les utilisons ici dans leur sens primitif que notre âge nous permet d'avoir également bien connu. ,o)

Miquel Bulnes, comme son nom l'indique, est d'origine espagnole. Or, la Guerre civile qui ensanglanta la patrie du Quijote de 1936 à 1939 n'a pas fini de se répercuter sur l'Espagne moderne. Connaîtra-t-elle un destin de séisme comparable à la Guerre civile américaine (ou Guerre de Sécession) ? Sans en être absolument certain, on peut le supposer. En effet, au-delà les auteurs qui font leur beurre en présentant deux camps manichéens dans une Histoire qu'ils veulent blanchir ou noircir tout autant, apparaissent, de plus en plus nombreux, souvent d'ailleurs officiant dans un genre bien précis et qui, en principe, n'a rien d'historique, des écrivains qui tentent de réinstaller le conflit dans le contexte qui fut le sien. Et qui dit "contexte" ici, dit forcément impartialité.

A son tour, Miquel Bulnes s'est lancé dans la terrible aventure avec une finesse assez rare puisque, pour sa part, il va droit aux racines du conflit, c'est-à-dire l'incurie des divers gouvernements qui précédèrent la prise de pouvoir de Franco. A la limite, dirai-je, "Le Sang Dans Nos Veines" est plus un roman historique fort bien fait qu'un polar. Certes, un franc-maçon et ancien militaire est bien retrouvé mort dans un lupanar honteux, le visage rendu méconnaissable par les balles qui lui ont été tirées à bout portant, et il y a bien un tueur psychopathe qui rôde au beau milieu d'une intrigue des plus complexes. le tout sur fond de complot où s'affrontent et / ou s'allient des francs-tireurs politiques parfois du même bord, parfois au contraire fortement opposés.

Le but, extrêmement ambitieux, de l'auteur - but qu'il me semble d'ailleurs avoir atteint ,o) - est de tenter d'expliquer pourquoi et comment ce que l'on dénomme encore le franquisme a pu s'installer et durer si longtemps en Espagne. Car enfin, il n'y a point d'effet sans cause. Ou, pour les gauchos qui me lisent, les faits sont têtus, ainsi que le disait lui-même, et pour une fois avec un rare bon sens, défunt Jean-Paul Sartre.

Bulnes place l'origine de tout à la fin du XIXème siècle, quand l'Espagne voit se lever, notamment sur le plan artistique, "la Génération de 98". A cette époque, il n'est pas bon d'être pauvre en milieu rural. Cela, Ignacio-José, père de l'un de nos héros, le sait déjà puisque, comme tous les paysans, il travaille à la botte des caciques, les grands propriétaires terriens. Et il est encore pire, comme il le fait avec une candeur étonnante mais compréhensible, de prôner à ses voisins de voter pour les progressistes de gauche, et surtout socialistes, dans les premières élections libres de son village. Les conservateurs l'ayant, bien entendu emporté, Ignacio-José ne trouve plus de travail et émigre vers la ville. Et là, il devient un homme riche. Eh oui ! En pleine ville, on se perd facilement parmi la foule et il n'y a pas de caciques. Pour un homme qui a le sens des affaires, la vie peut changer. Ce qui permettra au fils d'Ignacio, Ignacio Ubrique, de devenir ... député. de gauche, bien sûr.

Après les caciques et l'extraordinaire mutation ouvrière qui ouvre le XXème siècle, Bulnes évoque la Guerre du Rif, dans les années vingt. Une description saisissante, où l'on sent le soleil d'Afrique vous brûler la peau et où l'on risque de mourir de faim et de soif avec le colonel Augusto Santamaría del Valle lors du désastre d'Anoual. A cette époque, Santamaría n'est pas encore colonel et, s'il parvient à sauver sa peau, il perd à jamais son genou. Comme il ne peut plus servir à l'Armée, on l'intègre dans la police madrilène. Et, vous l'avez deviné, c'est lui qui héritera de l'affaire de l'inconnu assassiné au lupanar. Assassinat qui sera suivi de quelques autres, dont celui du jeune inspecteur de Santamaría, lequel, à partir de là, mettra un point d'honneur à avoir la clef de l'histoire. Et, croyez-moi, l'honneur n'est pas un vain mot pour Santamaría.

Bien que la quatrième de couverture assure que l'ensemble est mené "à un train d'enfer", le rythme est lent. Et c'est préférable, croyez-moi, car mener "à un train d'enfer" un polar se déroulant sur pareil fond historique eût été voué à l'échec le plus complet - à moins que cela n'eût rendu le lecteur complètement gaga. Il faut bien comprendre que, à l'époque des désastres rencontrés par l'Espagne au Maroc, certains partis voulaient à tout prix que le pays interrompît cette guerre tandis que d'autres souhaitaient, avec tout autant d'acharnement, qu'on la continuât. Ce n'était pas toujours question d'argent ou d'intérêt personnel. Ce que comprendront facilement les Espagnols ou encore ceux qui, en France, possèdent quelques gouttes de sang ibérique dans leurs veines : le sang dans nos veines ... ;o) Et ce que comprendront, sans doute avec plus de difficultés mais sans problèmes s'ils se réfèrent aux grandes pages de l'Histoire de France, mes compatriotes qui ne comptent aucun Espagnol ou Portugais parmi leurs aïeux. Surtout s'ils prennent la peine de lire la toute première page du roman, un extrait des "Mémoires" du colonel del Valle, magnifique résumé de ce qu'est, fut et redeviendra l'Espagne - la vraie.

Pour en revenir aux relations entre les partis, notamment entre les différents partis de gauche - relations si confuses que, avec l'aide assez inattendue des commissaires politiques que Staline leur avait envoyés pour les soutenir, elles mèneront plus tard à la défaite les troupes anti-franquistes - tous ceux qui s'intéressent à l'Espagne, à la guerre de 36, au franquisme et, de façon générale, à L Histoire dans son contexte mondial, découvriront, dans "Le Sang dans nos veines", le véritable noeud de vipères qu'elles formaient dès le début, donc à la fin du XIXème siècle, avant de réapparaître, considérablement renforcé, pendant la Guerre civile, et enfin, aujourd'hui, de se déliter dans une Espagne qui doit redevenir nationaliste si elle veut recouvrer sa grandeur.

Ne jugez pas le livre à ce résumé un peu trop orienté vers L Histoire. "Le Sang dans nos veines" est bourré de personnages passionnants qui vivent leurs propres conflits (comme la bisexualité non-avouée de Santamaría), l'amour que lui porte celle qu'il a épousée, la veuve de l'un des officiers qui sont restés dans les sables d'Anoual, le touchant destin d'Enriqueta, la petite prostituée, les relents pourris et diaboliques émanant de l'Affaire du Vampire la rue Ponent - affaire qui remonte aux années 1900 - le passage de Santamaría devant une Cour militaire complètement vendue, sa destitution, puis sa réhabilitation bien méritée, les excès d'une famille trop grande et trop riche ... J'en oublie certainement.

Bulnes nous démontre très brillamment que, à cette époque déjà, le régime espagnol, à commencer par le Roi, n'étaient plus viables. Sans prendre parti pour ou contre Franco, il nous prouve que l'idée d'un putsch militaire était dans l'air en Espagne depuis très longtemps et que, de toutes façons, il se devait, pour réussir, d'être mené par un général populaire, courageux et qui "tenait" dans sa main les régiments d'Afrique.

Là-dessus, à vous de vous faire votre avis. Non sur une Histoire qui s'est bâtie, elle, depuis très longtemps, mais sur un roman qui ne prend le polar que pour alibi. Un roman lent, certes, je l'ai déjà dit, mais un roman passionné que, en raison de sa volonté affichée de demeurer impartial, je tiens, quant à moi, pour une merveilleuse déclaration d'amour adressée, des Pays-Bas, par Miquel Bulnes, à la lointaine patrie de ses ancêtres. Bonne lecture et n'oubliez pas : prenez votre temps, vous êtes en vacances. ;o)
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