Citations sur Hors d'atteinte (24)
Elle se demande ce qui la fascine tant chez le prédateur, elle a l'impression qu'il y a davantage que sa rareté, peut-être le fait qu'il revienne comme ça, partout, que c'est la preuve que l'homme ne peut pas tout contrôler. Peut-être parce qu'elle aime aussi que les hommes se méfient. Qu’elle aime l’idée qu’ils aient aussi peur dans les bois, qu’ils craignent une mauvaise rencontre.
Petit à petit, quand le bonheur d'etre la où tout se passait s'était dissipé, la ville avait fini par l'étouffer comme la vallée l'encerclait jadis. Pendant des années, quand elle revenait de vacances et retrouvait son appartement exigu, elle sentait un poids appuyer sur son estomac. Le retour à la ville, cétait le retour à l'ennui. L'ennui sournois, qui noffrait pas de solution. Elle n'aurait jamais pensé regretter le rangement des sacs de pellets sous l'abri de jardin, le désherbage du gravier ou l'observation des oiseaux. Mais l'ennui urbain, cétait pour elle comme un vide qui grattait, qui rongeait à Iintérieur, qui ne pouvait être comblé que par des choses à acheter, à trier, à accumuler. Ses rêves n'avaient pas de place pour respirer, ils s'étaient amenuisés, tandis quelle se sentait en concurrence perpétuelle avec ceux et celles qui faisaient toujours mieux, avec toujours plus de succès. Et contrairement à ce quelle avait d'abord imaginé, la ville c'était aussi la solitude. Elle s'était sentie noyée dans la masse.
Elle ne peut pas continuer comme ça, à ne rien faire d'autre que marcher, courir, pour se prouver qu'elle est forte, toujours plus forte. Mais elle a encore envie de repousser le moment où elle va devoir sortir d'ici, se montrer au monde , elle ne se sent pas encore tout à fait redressée.
Elle trouvait que fuir demandait moins d’énergie que se battre.
Désormais elle doute : est-ce qu’on fuit pour éviter de souffrir ou pour se raccommoder en silence sans troubler personne ?
Elle pensait qu'être constamment entourée lui éviterait de sombrer, en multipliant les béquilles, en comptant sur sa capacité à garder la face, à refuser de craquer devant les autres. Elle occupait tout son temps libre, évitait les moindres moments de solitude, quitte à sortir dans des endroits qu'elle détestait, avec des gens quelle n'aimait pas tant que ça. Elle était la fille toujours disponible en cas de pépin, l'oreille à l'écoute dès qu'il y avait un problème, elle disait oui à trois soirées le même soir, s'éclipsant de l'une pour aller à l'autre sans que personne ne remarque son absence. Elle s'était épuisée en faisant ça, elle n'avait plus rien à donner, et surtout plus de place à l'intérieur pour réussir à tout garder enfermé.
Les hommes lui ont injecté la peur dans les entrailles. Parfois, elle a l'impression que la société s'est organisée pour interdire à toute une partie de I'humanité l'accès aux grands espaces, pour les priver de la beauté du monde et de la solitude en les enfermant à l'intérieur des foyers et des villes par la peur. On les tient à distance en faisant de la nature un espace élitiste, un espace nécessitant des compétences spécifiques. Par-dessus le marché, il faut composer avec la menace répétée depuis l'enfance quà tout moment, un homme peut décider de foutre en l'air la vie d'une meuf, sur un coup de tête, au détour d'une ruelle ou d'un bois.
Parfois, elle a l'impression que la société s'est organisée pour interdire à toute une partie de l'humanité l'accès aux grands espaces, pour les priver de la beauté du monde et de la solitude en les enfermant à l'intérieur des foyers et des villes par la peur.
Le vent s'est levé, les pins et le noisetier ondulent sous le vent comme touchés par des vagues successives. Sa mère parlait toujours aux orages quand ils faisaient trop de bruit. Erin l'entend encore dire "Eh oh ça suffit là, du calme". Erin aimait imaginer le ciel s'excuser d'y être allé un peu fort en faisant éclater son plus beau tonnerre.
A la mort d'Idéfix, Janine lui a dit que personne ne pouvait partager sa douleur, qu'il fallait lâcher prise sur la rancœur. Erin a été piquée, mais en y réfléchissant, elle trouve ça de plus en plus vrai. Que cette quête amère et infinie de gens sur qui s'appuyer est vaine tant que ses jambes à elles ne sont pas solides. Ces derniers mois ont été ça, un apprentissage. Un chantier de consolidation, une manière de se rappeler qu'avant de compter sur les autres, il fallait qu'elle puisse compter sur elle-même. (p. 141)
[...] Elle a posté en se réveillant une photo de sa vue matinale sur Instagram. Elle reçoit des messages, la félicitant, comme à chaque fois qu'elle va randonner. Erin a un sentiment bizarre, comme un agacement qui pointe, mais qui s'adresse plutôt à elle qu'aux autres. Qu'est-ce qu'elle va chercher à vouloir toujours partager ce qu'elle voit ? (p. 140)