AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de jongorenard


Bienvenue en Irlande du Nord à l'époque des Troubles, bienvenue dans ce pays secoué par les violences et l'agitation politiques, bienvenue dans cet endroit fermé où morale et commérages dictent les rapports sociaux et où aller voir un coucher de soleil a quelque chose de subversif. Bien que cela ne soit jamais explicitement indiqué, l'histoire de "Milkman" se déroule probablement à Belfast, dans les années 70, pendant la période dite des Troubles, période de violences en réponse à l'occupation britannique. Bien que depuis, les différents belligérants aient déposé les armes, le conflit n'a jamais totalement cessé et semble même vivre un regain de violence en raison du Brexit. le récit est construit en paragraphes copieux et denses et en chapitres très longs, ce qui exige une bonne concentration de lecture. Il raconte les expériences d'une jeune fille considérée comme non-conformiste parce qu'elle aime « lire-en-marchant », ses tentatives pour se frayer un chemin à travers le champ de mines des ragots et des intrigues politiques de la Belfast catholique. Elle parle, raconte, rumine et réfléchit sur un rythme répétitif, frénétique, insistant, parfois même obsessionnel, mais sans jamais oublier d'y mettre une petite dose d'ironie qui illumine et réchauffe le tout. Comme de nombreux catholiques, elle est issue d'une famille nombreuse, de sorte que ses frères, ses soeurs et les beaux-frères se voient attribuer des ordinaux. Parmi les autres personnages figurent le « peut-être-petit-ami », le vrai laitier (alias l'homme qui n'aime personne), le faux laitier (un militant républicain qui semble harceler la narratrice), la fille aux cachetons et sa soeur, Machin McMachin et son frère, le garçon nucléaire. La mère de la narratrice occupe une place importante et puissante, elle croit plus aux rumeurs de sa communauté qu'aux dires de sa propre fille, tout en ressassant les mauvais choix de sa vie, comme celui de son mariage. Anna Burns décrit brillamment cette période des Troubles et le courant de violences sous-jacent, les suspicions entre groupes, les conventions étouffantes, les haines intercommunautaires et la morosité pesante. Elle rend à merveille la claustrophobie qui étouffe la ville, ses habitants et le peuple tout entier. La narratrice est à la fois un produit de son environnement avec des idées plutôt conformistes, mais elle manifeste également le désir de découvrir le monde hors des limites étroites ou des restrictions dans lequel elle est censée évoluer. Dans sa prise de conscience de l'existence d'une réalité plus vaste, elle est aidée par son « peut-être-petit-ami » et par une enseignante de français qui lui offrent par exemple de regarder différemment les couleurs du ciel. Mais elle se sent tirée vers le bas par les agissements du faux laitier, par les menaces et les violences du quotidien, par les ragots, les insinuations et les commérages du voisinage et par sa relation de plus en plus tendue avec son « peut-être-petit-ami ». Reste l'écriture d'Anna Burns qui, bien qu'originale et novatrice, ne plaira pas à tout le monde. Il y a tout d'abord le choix de ne pas nommer les personnages, choix déroutant au début de la lecture. Il y a ensuite la transcription des pensées de la narratrice, mélange de divagations intenses et d'états d'âme frénétiques, la narratrice cherchant de façon obsessionnelle à tout comprendre ou tout expliquer. Il y a enfin le style varié avec, par moment, une écriture viscérale (le massacre des chiens du quartier), une écriture sombre (la violence et la mort font partie du quotidien), une écriture tendre (les relations entre des personnages proches) ou une écriture absurde (les pointes d'ironie de la narratrice), mais toujours une écriture imaginative et inventive dans son utilisation de la langue. Bref un livre audacieux et novateur que j'ai aimé, un livre également prémonitoire en raison du choix de l'écrivain de parler de la période des Troubles à l'heure où la stabilité irlandaise est menacée par le Brexit.
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}