Aurore rêvera toute sa vie de ce qu’ils ont touché du doigt sans jamais l’atteindre ensemble : une maison de famille, un refuge où se tenir chaud quand la vie fait mal, des arbres au-dehors plantés à la naissance de chaque enfant et qu’on aurait regardés grandir, tous ensemble, de grandes tablées en l’honneur desquelles on aurait enfin sorti des armoires les nappes blanches brodées par les aïeules inconnues, les verres en cristal et l’argenterie des noces d’antan.
Aurore retient les larmes qu s’ajoutent à toutes les autres qu’elle ne verse pas, parce que celles des adultes occupent toute la place … Elle se sent coupable. Coupable de détester ceux qui l’aiment, coupable d’attendre d’eux une attention qu’ils ne peuvent plus lui donner, coupable d’être une enfant debout, coupable d’être une enfant vivante. Alors elle baisse les yeux et se tait, éparpillant du bout de sa fourchette, tout autour de l’assiette, la nourriture qu’elle ne peut plus avaler.