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Critique de desruesetdeslivres


Au Fort Bastiani, le temps s'arrête, s'écoule, s'étire, comme de la glaise à façonner. Scandé par les rondes des sentinelles, par les mots de passe, par les garde à vous, par la vie militaire et ses mille et une règles, le Fort Bastiani règne en maître sur ce petit monde. le vrai personnage du roman, c'est cette forteresse, isolée de la ville, entourée de montagnes et de plaines et au nord du désert des Tartares.

A l'image d'un ogre, le Fort Bastiani dévore ses hommes en les nourrissant de chimère, celle d'une guerre à venir contre une peuplade étrangère et lointaine nommée les Tartares. Ont-ils jamais existé ? Personne ne le saura et cela n'a pas d'importance.

Ce magnifique roman est une allégorie de l'attente et plus généralement de la fuite du temps. Qu'est ce que la vie et que doit-on y faire ? Attendre son heure de gloire et toujours espérer ou avancer sans attente ou avec de moindres attentes ?

L'histoire est simple et terrible à la fois. Giovanni Drogo, jeune officier, est affecté pour son premier poste au Fort Bastiani. Oppressé par l'isolation et la solitude qui règne dans les couloirs, il souhaite partir immédiatement. Se laissant convaincre de demeurer 4 mois, le temps de ne pas déplaire au colonel et de ne pas compromettre son avancement, il finit par s'engluer dans le rythme létale de la routine au Fort. Son retour à la ville en permission, des années plus tard, le rend interdit : ses amis ont désormais leurs vies, la seule fille qu'il aimait bien a désormais ses projets, ses frères sont partis. Il est devenu étranger chez lui en l'espace de quelques années. Il reste donc au Fort, se rassurant sur le fait qu'il est encore jeune, qu'il va connaitre la gloire de la bataille, jusqu'à ce que le temps passe agissant sur lui comme une lente érosion sur de la pierre. Giovanni Drogo finit comme une statue de sel, fossilisé d'amertume, et meurt seul, sans enfant, sans femme, sans personne pour le pleurer. Il est passé à côté de sa vie dans l'attente de quelque chose de plus grand, dans l'espoir de vivre la gloire, comme si la vie en elle-même n'était pas une gloire.

La beauté de ce roman, classé généralement dans les grands classiques du 20e siècle, réside dans le caractère immuable de la leçon qui nous est donnée. Combien d'hommes laissent fuir le temps pour se réveiller bien trop tard ? Combien ne mesurent pas la valeur de leur vie et la responsabilité d'en faire quelque chose ? Peut-être faut-il être spirituel pour prendre la mesure du tragique de ce livre.

Dino Buzzati a, paraît-il, écrit ce livre en s'inspirant de ses collègues journalistes, chroniqueurs, se rêvant à 17 ans grands reporters et finissant par s'habituer à la monotonie de leur travail. S'il est normal de perdre un peu de ses rêves en grandissant, en se cognant à la réalité, c'est le propre de la maturité, n'est-ce pas le propre de l'absurde de s'oublier derrière l'image d'un grand rêve (ou d'une guerre) qui ne se réalisera jamais ?

Dino Buzzati a réussi l'exploit de raconter une histoire romanesque plausible sur la fuite du temps, sans ennuyer son lecteur qui attend, lui aussi, la guerre, tout en sachant qu'elle n'arrivera jamais, et en même temps de témoigner de l'absurdité tragique d'une vie humaine non vécue.

Un roman qui vaut largement d'être considéré comme un « classique » du 20e siècle.
Lien : https://desruesetdeslivres.w..
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