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Critique de PascalOlivier


Il existe des livres qui vous suivent depuis longtemps, dont on entend parler, dont on écoute des extraits de lecture, qu'on retrouve très souvent cité par des grands lecteurs et écrivains. Alors on fantasme le récit, on imagine le style, on songe à l'effet qu'il provoquera sur nous.

Le désert des Tartares est de cette race de livres. Publié en 1949, ce roman de Dino Buzzati est une véritable énigme littéraire dont on ne cessera de revenir dessus à différentes périodes de sa vie pour en saisir le(s) sens.

Giovanni Drogo, promu lieutenant, est affecté au fort Bastiani, un bâtiment isolé du monde, avec pour seul horizon un désert encerclé de montagnes. Au fur et à mesure que cet homme se rapproche de son futur lieu de vie, on est saisi par l'aura fantastique qui se dégage de l'écriture de Dino Buzzati. le fort devient ainsi un lieu à la fois quasi mystique de par sa solitude incompréhensible qui retient indéfiniment les hommes dans l'attente d'une improbable attaque et son écrasante abstraction, qui fige le monde et le temps, le grand sujet du livre.

La discipline militaire et les rouages administratifs qui composent le quotidien de cette armée représentent en creux l'obéissance aveugle et bornée que l'on peut avoir face à une routine quotidienne qu'on se refuse à remettre en cause, voire à identifier. L'homme, rempli d'espoir, de désirs de victoires, se retrouve ainsi un rouage infime d'une énorme machine dont le but suprême est l'immobilisme. Les personnages s'enfoncent dans leur fonction, les caractères s'oublient dans le respect des procédures et des protocoles, l'humain oublie d'être humain.

Entre l'absurdité hiérarchique et la beauté du monde, Dino Buzzati ne tranche pas et nous perd dans un fascinante dédale géographique, administratif et poétique. Les détails les plus infimes deviennent des événements étranges, annonciateurs d'un vacillement mental et social. Les ordres fusent, plus inutiles les uns que les autres, et le temps passe, passe, jusqu'à faire oublier la moindre envie de changement malgré l'espoir d'une guerre contre l'ennemi.

Lire le désert des Tartares relève de l'expérience inédite, c'est découvrir un récit qui va s'engloutir en lui-même, jusqu'à la folie. Mais une folie froide, contractée, maîtrisée par les lois que se construisent les hommes. Et le temps passe, encore et encore, et le désert regarde cette petite fourmilière s'agiter en tout sens, mais pourquoi faire ? le style de Dino Buzzati devient de plus en plus hypnotique, nous voilà soudain nous aussi prisonniers du fort ! le désert des Tartares délivre ainsi une étonnante méditation littéraire sur le destin, la répétition et la puissance attractive et névrosée de l'ordre.
Lien : https://murmuredelombre.word..
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