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Critique de Laureneb


Je n'ai apparemment lu que deux chants sur quatre dans mon édition trouvée sur Gallica, une traduction en vers du XIX ème siècle de Victor-Robert Jones, dédicacée à Napoléon III avec, pour commencer, ses propres poèmes que je n'ai pas lu, ayant peu apprécié la longue dédicace en vers à l'Empereur, flatteuse, louangeuse, dans la grande tradition de la poésie classique envers le Grand Roi.
Pour en revenir à l'oeuvre de Byron, elle est complétement romantique, mais aussi complétement baroque dans le sens de bizarre. Bizarre, oui, car c'est un récit en poésie. C'est d'abord le récit de l'ennui du personnage principal – qui n'est pas le Narrateur, mais qui semble ressembler beaucoup à L Auteur. Plusieurs parties évoquent donc les sentiments, les états d'âme de ce personnage, qui commence par voyager pour tromper son ennui et sa douleur. Cependant, ce personnage ne devient qu'un prétexte pour présenter les lieux, villes et pays qu'il traverse, puisque l'oeuvre devient un récit de voyage dont le personnage est effacé. Ce qui compte, ce n'est pas lui en tant qu'individu, il n'apparaît d'ailleurs pas pendant plusieurs pages parfois, mais c'est ce qu'il voit et ce qu'il ressent.
Le Narrateur quitte donc l'Angleterre pour l'Espagne et le Portugal, puis la Grèce alors sous contrôle ottoman. Nous sommes au début du XIX ème siècle, l'auteur est anglais, donc il déteste « l'Ogre de Corse », tout en faisant des parallèles entre la violence des combats de la guerre d'Espagne menée par les armées napoléoniennes, en réalité l'écrasement dans le sang par l'armée française d'occupation contre la révolte des Espagnols comme le peindra plus tard Francisco de Goya (le tableau « La fusillade du Tres de Mayo ») avec les guerres de la Reconquista ayant opposé les armées ibériques aux musulmans. C'est une sorte de vision hallucinée, de reconstitution de la guerre par l'évocation des cadavres jonchant la plaine, ou des fleuves rougis de sang que le Narrateur voit à des siècles de distance.
Le texte se transforme ensuite en plaidoyer pour la lutte pour la liberté contre l'oppression des tyrans, à travers l'héroïsation du combat des Grecs pour leur indépendance contre le pouvoir ottoman. Cette partie sur la Grèce donne lieu à l'évocation de la Grèce antique, de sa mythologie et de sa culture, le héros visitant les ruines des temples, et le Narrateur faisant appel aux Muses et à Appolon pour l'inspirer. Cette comparaison avec l'Antiquité, pétrie de culture classique, donne lieu à des passages émouvants et mélancoliques, la Grèce n'étant plus la terre de ces héros, ce n'est plus la terre de l'épopée, mais un territoire asservi, dominé par une puissance étrangère, une culture et une religion différentes. Les cultes anciens ne sont plus rendus dans les temples qui sont en ruines, où les Grecs vivent dans un état de pauvreté et d'inculture qui se rapproche de la sauvagerie, vivant de brigandage dans les montagnes, habillés de peaux de bête. Mais cette dégradation vient de leur asservissement. J'ai particulièrement apprécié – c'est un sujet que j'évoque en cours - l'évocation très subtile tout en sous-entendus du sort des bas-reliefs du Parthénon : Byron ne le dit pas aussi clairement, mais il accuse l'Angleterre de vol, de pillage même, un Anglais ayant arraché les marbres du temple d'Athéna pour les ramener en Angleterre. Aujourd'hui encore, en 2022, la Grèce plaide devant l'UNESCO pour récupérer ce trésor culturel, joyau du « siècle de Périclès », symbole culturel et identitaire.
Byron dresse alors le portrait d'Ali Pacha – dont je connaissais une version de l'histoire racontée par sa fille fictive, Haydée, dans le Comte de Monte-Cristo, roman tout entier marqué d'ailleurs par l'ombre de Byron. Ali Pacha est érigé en symbole de la tolérance, de la liberté, héritier des héros grecs de l'Antiquité ; de ce que j'ai compris, c'était plutôt un officier ottoman cherchant à devenir indépendant du pouvoir central.
Tous ces thèmes montrent bien que cette oeuvre en quoi cette oeuvre est fondatrice du romantisme européen : un personnage solitaire, dégoûté du monde moderne et de la société contemporaine qui a tout vu, tout fait, tout goûté, et qui refuse désormais les bas plaisirs. Il y a aussi le goût du voyage, pour découvrir des peuples différents car jugés moins civilisés en lien avec leur caractère oriental – l'Espagne est ainsi jugée moins barbare que la Grèce. On retrouve aussi l'aspiration à la liberté et le refus du despotisme, qu'il soit ottoman ou napoléonien – les romantiques français auront une autre vision, puisque pour eux les armées françaises apportent la liberté à l'Europe ; cette aspiration à la liberté se traduit par un engagement personnel de l'Auteur, engagement extrême pour Byron puisqu'il va combattre jusqu'à la mort pour la liberté des Grecs. Il m'a semblé trouvé dans cette oeuvre des éléments qui vont inspirer les romantiques français quelques années plus tard : Dumas avec Monte-Cristo pour cette évocation de la lutte des Grecs, et ces descriptions de la navigation en Méditerranée, Hugo et son goût pour l'Espagne visible dans Hernani, ou Ruy Blas, qui inspirera ensuite Mérimée, Gautier..., des poèmes des Orientales aussi sur la Grèce – je pense notamment au poème « l'Enfant » sur les massacres de Chios.
Une oeuvre donc aux très belles images, aux passages aussi très longs par moments, pétrie de culture classique dont il difficile d'avoir toutes les références, mais fondatrice pour le romantisme européen.
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