Nous constatons, sans joie particulière, que l'ostracisme n'est pas réservé aux minorités religieuses. Comme s'il était nécessaire de haïr pour se grandir, d'exclure pour exister.
Nous sommes dans un monde qui bascule totalement. Un monde où les hommes ne respectent plus les hommes. Un monde où, pour servir une idée, on est prêt à basculer dans la bestialité.
J'ai été troublé, mais finalement soulagé, comme la plupart des Français, par ce renoncement. J'ai connu les tranchées. J'ai vu l'horreur, la boue et les tripes à l'air. Je me suis exposé plus que d'autres pour corriger le stéréotype du juif planqué. Fallait-il vraiment recommencer ?
Ils ne vont pas tarder à les envoyer à Drancy. Les Lang, dans un train de marchandise! Je pense à Geneviève, à sa façon magnifique de porter les chapeaux. À son élégance raffinée, à sa robe plissée de Madame Grès. Comment l'imaginer dans un wagon à bestiaux, assise sur le plancher, dans la puanteur ? Je bredouille quelques commentaires et raccroche. La déportation ce mot terrifiant, mais qui jusqu'alors n'était qu'un mot, est brutalement devenu horriblement concret. Le pire peut donc nous arriver, à nous. À nous personnellement, partout, à tout moment. Pour la première fois de ma vie, je ressens ce qu’est la terreur.