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Critique de Levant


Lorsque le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1957, Albert Camus a réservé à son ancien instituteur, monsieur Louis Germain, une lettre qui commence par ces mots : « J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon coeur."

Cette introduction exprime déjà à elle seule ce que sera la teneur de son ouvrage, non encore ébauché en 1957, Le premier homme: une déclaration d'amour filial adressé à celui qui aura été pour Albert Camus un véritable père de substitution. Le sien ayant été soustrait à son affection dès les premiers jours de la guerre, en 1914. Une déclaration d'amour aussi à celle avec laquelle il communiquait si peu : sa mère.

Albert camus n'avait pas achevé l'écriture de cet ouvrage lorsqu'il a trouvé la mort en 1960, dans un accident de la circulation. Aussi ai-je ressenti comme une effraction de l'intimité de la personne le fait de prendre connaissance dans cette édition tardive d'un texte non abouti, que l'auteur lui-même n'aurait certainement pas voulu voir publier en l'état. Il comportait alors autant d'annotations qu'Albert Camus s'adressait à lui-même quant à la mise en forme définitive de son ouvrage, l'appellation des personnages, la teneur même de ses révélations pour un ouvrage foncièrement auto biographique. Son titre même n'était pas déterminé. La forme narrative n'aurait-elle pas été au final rédigée à la première personne ? Jacques ne serait-il devenu tout simplement Albert ?

Il n'en reste pas moins que la relation de cette volonté de vouloir faire connaissance avec son père, en recherchant des témoins de sa vie, pour un enfant qui se reproche presque d'avoir atteint un âge qui n'a pas été autorisé à ce père, est très émouvante. le manque fondamental exprimé tout au long de ce texte est d'autant plus poignant qu'il ne cherche pas à l'être. La vie, sa vie était comme ça.

Dans la relation de cette prime adolescence, on sent déjà poindre en germes les tiraillements qui fonderont les interrogations fondamentales de l'auteur par rapport à la vie et son côté absurde. La recherche d'une cohérence de l'état de vie par rapport à la conscience de vie. Les prédispositions politiques aussi de l'homme, dont l'enfant qu'il a été avait déjà bien compris que la colonisation comporte son lot d'interrogations, de malaises, voire d'immoralités. Autant de développements philosophiques et sociologiques qui n'auraient à n'en pas douter peuplé les idées du jeune homme et de l'adulte, héros d'autres tomes que ce premier nous laissait appeler de nos voeux.

La personne qui écrit ne devient auteur que lorsqu'elle a mis le point final à son oeuvre et décidé de la livrer à son éditeur. Avant, elle reste une personne en proie à ses doutes, à ses choix quant à ses révélations. Avant, celui qui porte les yeux sur son texte sans son consentement est un intrus. Mais avec Albert Camus, j'ai bien voulu l'être cet intrus. Intrus de l'immense talent. N'est ce pas aussi lui rendre hommage que de se passionner pour ses hésitations, ses doutes ? Se passionner pour l'homme donc, avant qu'il ne devienne l'auteur de son ouvrage en lui mettant son point final.

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