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Critique de mercutio


Quelques notes de lecture pour mémoire.

- le thème de cet essai est l'absurde, qui est une évidence pour Camus (au moment où il a écrit le mythe de Sisyphe):
"...Cette évidence, c'est l'absurde. C'est ce divorce entre l'esprit qui désire et le monde qui déçoit, ma nostalgie d'unité, cet univers dispersé et la contradiction qui les enchaîne."
L'incompréhension du monde -de la vie- tels que Camus les perçoit, l'incapacité à leur reconnaître une signification amènent l'homme "absurde" à bannir l'espoir de son univers.

- des deux positions imaginées en conséquence, le suicide et la révolte (à comprendre fondamentalement comme le non-suicide), Camus évacue la première sans vraiment le justifier, me semble-t-il. Il ne s'agit donc absolument pas d'un livre sur le suicide malgré ce que pourrait laisser penser le titre du premier chapitre et sa célèbre première phrase.

- l'homme absurde (comprendre: l'homme ayant pris conscience de l'absurdité de la situation) décide de vivre; il me semble que Camus n'explique pas pourquoi et je trouve ça incompréhensible. Ici se situe à mon avis l'écart immense entre l'homme -même absurde- et Sisyphe. Sisyphe n'a le choix qu'entre être sans espoir (i.e. absurde) ou sans espoir et désespéré, mais obligatoirement vivant.

- après avoir posé les bases de son essai, défini le contour et la méthode (un raisonnement absurde), Camus caractérise l'absurde dans l'homme avec des exemples génériques (Dom Juan, l'acteur de théâtre, le conquérant) et le traque dans la création artistique. J'en retiens notamment que l'acte, voire la répétition de l'acte (quantité) prime sur la finalité au point que celle-ci est purement et simplement niée; en effet, rien ne peut légitimer une quelconque finalité puisque tout se termine par la mort (le seul sens de la vie, c'est de conduire à la mort; c'est un sens unique). L'homme, pour qui il existe une finalité (ultime ou partielle) de ses actes, ne fait pas partie du sujet.

- la démarche de Camus s'entend sur un plan strictement individuel. La dimension collective, n'étant pas abordée, j'en déduis qu'elle n'est pas, pour lui, un facteur susceptible de modifier son évidence de départ. Point de réflexion.

- de même que Nietzsche rêvait avec le Zarathoustra d'avoir écrit un cinquième évangile remplaçant les quatre premiers, d'une certaine façon on pourrait dire que Camus, ayant acté que Dieu était décidément mort, "essaye" de créer le nouveau catéchisme ou le vademecum de l'homme absurde. En pratique, on peut concrètement venir ici, en tant qu'homme, tester son niveau et, pour peu qu'on soit créateur, chercher pour son oeuvre l'award de l'absurdité. Ne nous y trompons pas, il y a potentiellement beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

- l'immense intelligence de Camus affleure à chaque ligne, chaque paragraphe. Presque chaque phrase pèse une tonne de sens qu'il faut apprécier idéalement avec du recul, du temps, des bases culturelles qui tous m'ont fait défaut; la séquence des phrases fait continûment progresser le propos, sans temps mort ; j'avoue que souvent la pensée de l'auteur est trop agile pour moi et qu'alors j'ai besoin de combler, laborieusement, les transitions qu'il ne prend pas toujours soin de tracer, même en pointillé

- la forme est, comme toujours chez Camus, un bonheur, mais, me semble-t-il, encore plus ici où il a -je l'imagine avec beaucoup de naïveté- le souci d'être particulièrement compréhensible vu le sujet; les phrases sont simples, souvent courtes; les idées exposées précisément et avec économie.

A relire, en homme absurde, i.e. sans raison autre que relire pour le plaisir qui ne se soucie pas de l'utilité. ...Plus l'apport à mon édification, car, tout bien réfléchi et toute honte bue....je crois, hélas, que je ne suis pas (encore) absurde.

Addendum suite aux commentaires
- le magnifique "il faut imaginer Sisyphe heureux" est une réussite littéraire mais n'a pas pour moi place dans cet essai sinon comme projection vers autre chose. le concept de bonheur, aucunement défini et seulement abordé dans les deux dernières pages introduit un champ lexical nouveau qui rompt l'unité de l'ouvrage et me laisse pressentir le remords de l'auteur qui affirmerait, trop tard, "On ne découvre pas l'absurde sans être tenté d'écrire quelque manuel du bonheur." ....Avec plaisir, Albert!
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