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Critique de jullius


Meursault, l'étranger absolu, l'autre radical, ce différent indifférent ; mais Meursault le seul sensé, finalement ? Meursault l'incompréhensible amant, l'étrange ami, le fils lointain, indigne, mais Meursault le sage pourtant ? Possible... car Meursault accepte l'absurdité de sa condition d'homme, admet que vivre dépasse l'entendement, qu'être au monde n'est réductible à nulle raison, aucune explication, ne justifie aucun attachement. Et pour Camus, bien fou celui qui n'admet pas l'absurdité de sa condition, le non-sens de son essence. Stupide celui qui croit, par la raison, pouvoir saisir le monde, par l'amour lui donner un horizon. Bien fat mais plus ridicule encore celui qui prétend régenter, ordonner, régler, rendre justice, établir la vérité, sur les bases de ses seules dimensions.
L'Homme croit pouvoir éclairer l'origine, justifier la direction, dire le sens de son existence, dévoiler les ressorts de la vie, la nature même de l'être et de l'univers simplement parce qu'il pense : se faire le maître, du monde qui l'entoure jusqu'à ses propres penchants. Il se trompe. Kant l'a déjà dit !
Camus le rappelle, dans le mythe de Sisyphe, véritable clé de lecture de L'Étranger : « comprendre le monde pour un homme, c'est le réduire à l'humain, le marquer de son sceau », se tromper en somme : vivre dans l'illusion du savoir, de la maitrise, mais ce faisant, réduire la réalité à ses seules facultés, la voir à la seule fenêtre de ses connaissances, conditionnées, nécessairement, par sa finitude même et les limites de ses capacités. Si le monde, affirme encore Camus, « n'est pas raisonnable » c'est qu'il n'est pas réductible à la raison humaine. Ainsi, « ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme (…) l'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ». L'absurde est consubstantiel à notre condition d'être au monde ! Autant l'accepter. Il est, alors, vain de chercher la maitrise de sa vie, de son sort, de son temps, de ses émotions mêmes. Il est illusoire de croire qu'on puisse être l'auteur de son destin, fou de se dire libre, dans un monde qui nous échappe, nous surpasse, nous agite et nous bouscule par mille et une forces que nous ne savons voir ni prévoir.
La seule libération possible tient à la capacité de « se sentir désormais assez étranger à sa propre vie, pour l'accroitre et la parcourir sans la myopie de l'amant » prétend encore Camus. C'est ce à quoi parvient son héros, lui qui vit dans le détachement, la distance au monde et aux êtres sur lesquels il n'a aucune prétention, lui qui ne cherche rien puisque rien n'est accessible, et moins encore que le reste, une souveraineté factice, un attachement dangereux. Il n'est pas libre, Meursault, et il le sait ; mais il meurt sot, au sens noble, au sens positif où la sottise est déraison, confusion, absurdité et donc libération… et c'est peut-être la grande leçon qu'il nous laisse.
Il me vient ces mots De Vigny à la fin de ma lecture, dont je transforme la fin pour l'occasion :
« Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublime Meursault »
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