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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015, écrits dessinés et encrés par Zander Cannon. Les fonds de couleurs ont été réalisés par Jason Fischer, et la finition des couleurs par Cannon. Ce dernier est connu pour avoir réalisé les dessins de Top 10 d'Alan Moore, en collaboration avec Gene Ha, et pour avoir illustré Smax également d'Alan Moore.

En fait les gros monstres japonais des films des années 1950 et 1960 existent bien. Ils ont du mal à cohabiter avec les humains, surtout parce qu'ils détruisent souvent des villes et qu'ils émettent des radiations nocives. le Japon a donc créé une force spéciale pour les capturer et les mettre en détention sur une île appelée Kaijumax (d'après le nom Kaiju qui désigne les films avec des monstres détruisant des villes dans le cinéma japonais). Cette île-prison est gérée par un groupe d'individus ayant la capacité de se transformer géant avec des pouvoirs pour raisonner les monstres. le directeur s'appelle Kang, il est assisté par Ajit Gupta, Chau, Jeong, Mariko, Zhand (docteure). Ils sont assistés par l'intelligence artificielle Keiko (une sorte de sphère flottante), et sous la tutelle de la directrice Matsumoto.

Alors que le récit commence, une nouvelle fournée de prisonniers arrive sur l'île dont Electrogor, et la Créature de la crique du Diable (une chèvre plus ou moins anthropomorphe). Les nouveaux arrivants font vite la connaissance des anciens, à commencer par Mecha-Zon, le chef spirituel de la communauté des robots géants, qui a décidé de renoncer à la violence, Ape-Whale (le parrain de plusieurs races de monstres) et son fils Whoofy, le prince Zlook, ou encore Frankie (qui improvise des chansons de rap). Eloctrogor constate que la Créature de la crique du Diable s'est faite tabasser, lui-même se retrouvant la victime d'un odieux chantage. En outre, l'un des gardes trafique pour couvrir ses dettes de jeux, en assurant l'approvisionnement en drogues des détenus (essentiellement en uranium enrichi).

En 2015, de nombreux critiques ont encensés cette nouvelle série comme étant un joyau d'inventivité et d'humour. de fait le point de départ est original avec cette prison adaptée aux monstres japonais du vingtième siècle, nés de la peur de la bombe atomique. En découvrant la couverture et les dessins des pages intérieures, le lecteur éprouve quelques difficultés à cerner à qui s'adresse cette série. En effet Zander Cannon a pris le parti de dessiner des monstres mignons, avec un degré de simplification qui s'adresse d'habitude aux enfants. Il s'agit de monstres qui font honneur au côté bricolé des monstres de caoutchouc apparaissant dans les films kaijū. Ils semblent avoir été conçus par un enfant, avec une carapace dure et jaune vif, ou avec une toison toute blanche, avec des amas globuleux, un feuillage des plus rudimentaires, etc. le summum est atteint avec Mecha-Zon dont les chenilles donnent l'impression de former une jupette métallique autour de sa taille.

Il est donc impossible de prendre au sérieux l'apparence de ces monstres, non pas qu'ils ressemblent à des acteurs ayant revêtu un costume en caoutchouc, mais parce qu'ils semblent avoir été dessinés par des enfants. Ils arborent en plus des expressions enfantines sur leur visage, avec parfois des yeux brillants et tous ronds qui peuvent littéralement s'emplir de larmes. Leur langage corporel est plus pataud que menaçant, leur apparence est ridicule, et leurs émotions transparaissent sur leur visage sans aucune retenue. Les êtres humains sont dessinés avec le même degré de simplification que dans un dessin animé à destination de la jeunesse. Leur contrepartie géante quand ils ont actionné leur costume s'inscrit dans le même registre. le registre de leurs émotions est un peu plus large que celui des monstres et un peu plus adultes.

La majeure partie des séquences de ce tome se déroule sur l'île de Kaijumax qui a droit à son plan sommaire en fin de recueil. La représentation des décors est en phase avec celle des personnages : simplifiée. L'artiste représente des plaines désertiques ou recouvertes d'herbe, avec des petites montagnes formant des cirques, et quelques volcans. Les monstres s'assoient sur les volcans, se douchent sous les chutes d'eau, s'adossent aux montagnes pour se reposer. Il y a quelques canyons qui permettent de passer d'un cirque montagneux à l'autre. Au cours de ces épisodes, le lecteur peut également voir l'énorme puits circulaire creusé pour servir de cellule d'isolement, une autre île avec une ville jonchée de décombres après avoir été dévastée par un monstre, un casino extraordinaire sur la Lune et le poste de commandement des gardiens du centre de détention pénitentiaire. Il n'y a donc pas beaucoup de changements de lieu.

De la même manière, il y a peu d'accessoires, les kaiju étant des animaux monstrueux qui utilisent tout au plus un verre et une sorte de plateau pour poser leur nourriture quand elle prend une forme solide. le plus étonnant dans ces accessoires reste ce qui leur sert pour la musculation dans le premier épisode (mais il n'en est plus questions dans les épisodes suivants). Les êtres humains utilisent un peu plus d'objets et d'outils en particulier des vaisseaux pour se déplacer d'une île à l'autre, ou un navire maritime. Là encore, le lecteur a l'impression de contempler des jouets en plastique pour enfants en bas âge. L'ensemble de la conception graphique donne l'impression d'un récit à destination d'un jeune public, sans beaucoup de détails, mais avec une forte identité visuelle pour chaque personnage.

Du coup le lecteur se retrouve dans un état d'esprit où il s'attend à un récit inoffensif pour enfant, avec des blagues sur les monstres. Effectivement, l'auteur fait preuve d'une bonne connaissance sur les conventions propres aux kaiju et le lecteur adulte sourit aux sous-entendus sur les radiations, ou les volcans. Néanmoins ces monstres sont loin d'être des incarnations de forces naturelles comme ils peuvent l'être dans leurs films d'origine. Quand dans le premier épisode, Electrogor évoque ses enfants qu'il a dû abandonner lorsqu'il a été capturé, le lecteur y voit une grosse ficelle tire-larme. Effectivement, ce monstre se plaint régulièrement de ce qui a pu arriver à ses enfants livrés à eux-mêmes, mais le scénariste ne les montre pas en pleine détresse. Toujours dans ce premier épisode, Eletrogor subit un chantage odieux d'un autre prisonnier, à nouveau une façon de jouer sur la corde sensible du lecteur. La philosophie pacifiste de Mecha-Zon ne semble avoir été intégrée que pour créer un moment de détente comique.

C'est donc un peu déconcerté que le lecteur avance dans le deuxième épisode où il est question de trafic de drogue sur Kaijumax, avec des détenus qui se défoncent pour pouvoir supporter ces longues journées d'inactivité. Il voit avec stupeur qu'un des prisonniers est salement amoché après avoir été tabassé. Il comprend que l'un des gardiens deale de la drogue pour payer ses dettes de jeu. Il se produit une dissonance narrative irréconciliable entre cette apparence mignonne et inoffensive, et les actions de quelques personnages. Il est difficile de prendre au sérieux ce manque de moralité et cette dépravation sous-jacente, alors que les images correspondent toujours à une histoire pour enfant.

La situation va en s'aggravant dans l'épisode 3, avec un dilemme moral terrible pour Mecha-Zon, un petit doigt coupé, une mise à mort d'une soudaineté imprévisible. Décidément le lecteur doit revoir ses a priori sur cette série. Il s'agit bien d'un hommage aux films kaijū, mâtiné d'un récit de genre, celui qui correspond aux films de prison. Ces monstres à l'allure inoffensive et amusante sont des détenus qui sont sans pitié entre eux, les plus forts asservissant les plus faibles, les manipulant, les spoliant, en abusant. Zander Cannon n'hésite pas à intégrer un monstre enfant qui est lui aussi victime d'une machination aux conséquences traumatisantes. Il faut un peu de temps pour que le lecteur révise son jugement et recalibre sa façon de comprendre le récit. Visuellement les monstres restent toujours aussi inoffensifs, mais leurs comportements le sont beaucoup moins. À partir de l'épisode 4, les personnages acquièrent une dimension tragique. Les manipulations diverses et variées ont des conséquences sur les victimes, générant une empathie pour le lecteur. le récit passe d'un conte vaguement amusant par ses références, à un drame réellement inquiétant.

Pour prendre la mesure de la nature de ce récit, il faut dépasser la première moitié de ce tome. Zander Cannon a adopté une esthétique évoquant un ouvrage à destination d'enfants de moins de 10 ans, sans aller jusqu'au mièvre. du coup les agissements des monstres et des gardiens semblent sans réelle conséquence, pas toujours raccord avec la situation, mais tout finira bien par s'arranger. À partir de l'épisode 2 le lecteur ne peut plus ignorer des agissements en dissonance totale avec ce qui est montré. Avec l'épisode 3, le doute n'est plus permis : ce récit est plus un hommage aux films de prison qu'aux films kaijū. Une fois cette méprise levée, il apparaît que l'auteur maîtrise les conventions des 2 genres et que l'intrigue est noire à souhait (même si les dessins, eux, restent sympathiques et riants). 4 étoiles pour un récit qui nécessite un temps certain avant de révéler sa saveur réelle. Alors qu'au bout de 2 épisodes le lecteur avait acquis la certitude qu'il s'arrêterait au premier tome, à la fin il se dit qu'il aimerait connaître la suite et qu'il reviendra pour la deuxième saison.
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