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Critique de BurjBabil


Essai de qualité qui porte pour l'essentiel sur la liberté d'expression dans les échanges humains, c'est à dire sur la parole ordinaire, celle de la rue, des spectacles, des journaux et des médias.
Beaucoup d'exemples, dont une majorité de très récents, une assise historique solide, ce livre est une excellente source de réflexion.
L'auteure commence par rappeler l'histoire de cette notion qui est si souvent citée mais mal interprétée et ses fondements, convoquant tour à tour philosophe anglais John Locke, le calviniste converti pour un temps au catholicisme Pierre Bayle, et surtout le philosophe anglais John Stuart Mill pour nous éclairer sur les fondements théologiques de cette notion apparue à un moment de notre histoire où la pacification religieuse était à l'ordre du jour.
Le principe que John Stuart Mill a proposé il y a près de deux siècles dans son livre « de la liberté » est l'assise théorique de notre pensée moderne : pas d'immunité légale pour les propos qui font du tort et simultanément pas de légitimité à réclamer la protection de la loi contre des propos qui ne causent pas de tort, aussi désagréables qu'ils soient.
Le problème étant qu'il reste à définir le « « tort fait à autrui »...
Là, j'ai eu plus de mal à suivre, que ce soit sur les injures raciales, qui s'identifient par l'ajout d'un élément descriptif à un terme neutre, étant « descriptiviste » ; ou « émotiviste »... Cela m'a semblé concrètement trop compliqué pour le commun des mortels (moi quoi)
Je comprends que « Nigger » soit une insulte mais par exemple refuse que « Noir » le soit. Et « Blonde » ?
Mme Canto Sperber cite un tas d'exemples dans des champs très divers mais il y a hélas des biais, des omissions coupables qui dénaturent la question de savoir si on a raison de laisser parler ou faire taire.
Elle s'en sort en finissant des sous chapitres par des questions comme sur le chapitre consacré à l'humour :
« Les humoristes peuvent-ils tout dire, et même dire éventuellement ce que la loi punit ? Peuvent-ils se réclamer d'une liberté qui va au-delà de la liberté d'expression limitée par la loi ? ou, à l'opposé, être légitimement incriminés pour l'avoir violée ? Disposent-ils d'un passe-droit, d'un « passeport diplomatique », d'un certificat d'impunité en matière de parole publique ? »
Mais alors que faire si on arrive à ce constat concernant les dessins d'humour :
« Toutefois, le plus inquiétant est que les responsables éditoriaux reconnaissent ainsi solennellement leur incompétence pour définir ce qui est tolérable et ce qui ne l'est pas pour leurs lecteurs. Ils délèguent cette compétence à un tribunal, le tribunal de l'opinion, dépourvu d'expertise journalistique ou juridique, mais qui est actionné par la pression de l'opinion et surtout de groupes activistes engagés et militants qui, en traquant les propos, veulent imposer leur propre définition de ce qui est acceptable ou non. Pour le dire autrement : ils font de l'autocensure une vertu. »
Car l'auteure semble beaucoup compter notamment sur la justice pour résoudre les problèmes posés par les controverses nées d'interprétations différentes de cette liberté. Bien que respectant l'institution judiciaire quand il s'agit de juger des affaires de plaignants « socialement égaux », je ne lui fais que moyennement confiance dans ce cas. Car bien souvent, il y a disproportion des moyens et de notoriété dans ces affaires « d'injures », « de fake news » « d'appels à la haine » etc etc...
Et surtout, l'accès à la tribune médiatique est réservé au porteur d'étendard de l'idée politiquement correcte, ce qui éclaire cruellement le point aveugle de cet essai : celui de la démocratisation de la parole et du débat. Aucune réflexion sur la forme que devrait revêtir l'arène médiatique qui permettrait de s'affronter des idées réellement concurrentes. Dans les médias actuels, avec les formats actuels, quand le défenseur de l'idée qu'un virus peut s'être échappé accidentellement d'un labo chinois, il est moqué par tous les présentateurs virologues de plateau TV, quand bien même on le laisserait parler. Les sourires dédaigneux, les moues moqueuses suffiraient à disqualifier n'importe quel discours. Jusqu'à ce que ce soit une hypothèse envisageable et que les défenseurs d'un virus « naturellement » passé du vison à l'homme soient à leur tour méprisés par les mêmes censeurs moraux que précédemment.
Il existe des propositions de cadres démocratiques de débats, pouvant servir pour la politique et bien d'autres sujets de sociétés mais Madame Canto Sperber les laisse dans l'ombre, préférant des incantations sans assise pour qui se sent sous-représenté par l'expression de la pensée se voulant majoritaire.
« C'est pourquoi l'engagement des acteurs qui agissent au sein de la société, militants des libertés, responsables d'institutions ou d'entités privées, artistes, humoristes, blogueurs, joue un rôle majeur ; leurs initiatives peuvent contribuer à neutraliser l'effet des propos haineux tout en encourageant l'accès à la parole. »
Des blogueurs dont le job consiste à faire de la thune avec des vues, des influenceurs qui vivent grâce au buzz, ne me semblent pas les mieux placés pour instaurer un futur de liberté d'expression démocratique. Mais ce n'est que mon point de vue.
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