Mouvement perpétuel

La pratique de la musique de chambre est jubilatoire. Elle est aussi une école de la vie. Il faut savoir écouter l’autre

"Ce soir là, sans le savoir, cette jeune fille a changé ma destinée.Grâce à elle, j'allais vivre des années exceptionnelles à Berlin et rencontrer Claudio Abbado, Daniel Barenboïm, Daniel Harding. C'est à Berlin que je fis véritablement ma mue. J'avais couru après ce taxi comme on court après son destin. Je n'ai jamais revu cette jeune fille, mais je sais qu'elle a été ce soir là comme un ange sur mon destin."

Voilà pourquoi j'encourage toujours le jeu d'ensemble et l'écoute de l'autre. C'est en fait une école de la vie ; si on sait écouter l'autre, on peut mieux l'appréhender et donc le comprendre, et l'interaction en est d'autant plus agréable. En musique, les sonorités doivent s'unir et se marier, alors que chacun a sa propre façon de jouer. C'est chaque jour à la fois un véritable challenge et une école d'humilité et de patience.

Souvent je compare la sonorité de ce violon à une neige fraîche venant de tomber. A la fois simple et légère, soyeuse et tendre. Parfois, j'aime la comparer à la texture d'un tissu: un cachemire mêlé de soie et d'un peu de velours.

J'ai encore en mémoire le concert que nous avons donné avec l'Orchestre Gustav Malher à Sarajevo en 1996. Immédiatement après la guerre. Les immeubles étaient éventrés par les bombes. Et la ville était meurtrie, en proie la désolation. Je n'oublierai jamais l'atmosphère de ce concert. La soif du public pour cette musique réconfortante et apaisante. J'ai à cœur de jouer pour ces publics défavorisés. La musique ne peut et ne doit pas être seulement réservée à des connaisseurs et des aficionados ultra privilégiés

A quatre-vingts ans passés, Jacques Chancel en avait à peine vingt dans sa tête. Son appétit de la vie et sa curiosité des autres le nourrissaient;

Dès la première note, le poids de l'instant, la puissance de l'hommage et la solennité de la cérémonie m'envahirent. Je n'étais plus un violoniste qui jouait du Ravel, mais un Français rendant hommage, sous cet Arc de triomphe écrasant, à tous ces hommes et ces femmes morts pour leur pays. Ce n'était pas du trac, c'était une force sourde et puissante qui semblait me prendre par la main. J'étais entre le stress du premier concert et l'élévation de ce moment hors de temps.

Yo-Yo Ma est une exception dans la musique classique. Véritable star de son instrument (le violoncelle), il est un des rares musiciens classiques à rayonner dans tous les cercles de la société. Très actif parmi les jeunes et les publics différents de ceux des salles de concerts, il joue avec le même bonheur pour le président Obama que pour une classe d'enfants dans le Bronx.

Je retrouve dans la poésie le rythme et les couleurs, les phrasés et les accentuations, les nuances et les ponctuations que je m'efforce de traduire avec mon violon. C'est pour moi la forme artistique la plus proche de la musique.

Le 11 septembre 2001, j'étais à Jérusalem pour le festival qu'organisait Elena Bashkirova. (...) Contre toute attente, le public vint encore plus nombreux que d'ordinaire, et il fallut rajouter des chaises dans le théâtre Khan de Jérusalem où avaient lieu les concerts du festival. Nous avions décidé et demandé au public de ne pas applaudir à la fin des oeuvres. Pour laisser place à la prière et à la méditation. Un silence dont je ressens encore les vibrations aujourd'hui. Jamais je n'oublierai le poids de chaque note ce soir-là. Chaque harmonie, chaque liaison, chaque accent prenait une dimension universelle. Nous étions tous, public et interprètes, habité par le même sentiment de fragilité et de compassion. C'est dans des moments comme celui-là que l'on réalise vraiment le sens d'être un artiste. La vraie mission qui est la nôtre. C'est dans ces moments-là que la musique prend une dimension exceptionnelle.