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Critique de Antyryia



Huit condamnés à mort.
Un sanatorium réputé hanté.
Neuf semaines de jeu.
Un seul criminel sera réhabilité par le vote des téléspectateurs.

Qui regarderait une telle émission ? Personne.
Enfin, à part un petit coup d'oeil peut-être, juste par curiosité ?
"La plupart d'entre eux seraient rivés à leur écran, dénonçant le concept immoral d'un tel jeu."
En lisant cette phrase, je ne suis pas très fier de m'être reconnu. J'aurais plutôt tendance à dénoncer ces stupidités mais je mentirais si je disais que je n'avais jamais suivi un programme de télépoubelle. Et je ne suis
probablement pas le seul "à l'image de ces automobilistes qui
ralentissent aux abords d'un grave accident , sans manquer une miette du spectacle sanglant qui ne les concerne pas."

En imaginant ce nouveau concept, Armelle Carbonel est-elle visionnaire ou son idée est-elle totalement invraisemblable ?
Peu probable mais je me garderais bien de dire impossible.
Dans "The big donor show", aux Pays-bas, les téléspectateurs ont cru avoir le droit de vie et de mort sur autrui en votant pour leur candidat préféré : celui qui allait pouvoir bénéficier d'une greffe de reins au terme du morbide spectacle.
Dans "Farma", l'équivalent serbe de la ferme des célébrités, le récent chouchou du public avait passé vingt-trois années derrière les barreaux pour braquage à main armée, coups et blessure et extorsion. Il terrorisait et frappait les autres participants. Les producteurs tout puissants l'ont reconverti en star du petit écran.
Et s'il subsistait un doute pour la fascination du public envers les criminels, "60 days in" aux Etats-Unis est une émission filmée dans une prison. Sept innocents y sont enfermés mais ni les autres détenus ni les gardiens ne sont au courant de cette particularité.
Tout ça pour dire que l'idée de la romancière n'est pas si farfelue. le public serait présent, les producteurs également étant donné l'enjeu financier, et le rempart éthique paraît une protection bien mince à l'heure où seul le sensationnel fait vendre.
" le concept en lui-même suffisait à déchaîner les médias et à capter l'intérêt morbide du peuple américain, tout en laissant la part belle au but mercantile de la télé-réalité."

L'histoire de Criminal Loft nous est présentée avec le point de vue du sympathique John, l'un des huit participants choisis.
"Mais je réponds parfaitement à la définition d'un tueur organisé : gonflé d'un égo surdimensionné, dénué d'empathie, sadique sexuel, fétichiste et doté d'un mode opératoire très élaboré."
Les autres participants ne valent guère mieux cela dit.
Six hommes et deux femmes avec chacun leurs particularités, leurs spécificités ( on sait très vite qui est qui sans confondre les personnages ) se retrouvent donc enfermés dans cet ancien sanatorium désaffecté. Afin de trouver grâce aux yeux du public, ils seront amenés à lutter contre leur nature meurtrière, ce qui n'empêchera pas certains incidents fâcheux.
Eux qui jouaient avec leurs victimes sont devenus des proies. Eux qui ne respectaient aucune règle doivent composer bon gré mal gré avec celles qui leur sont imposées.
Chaque semaine, lors du prime time, les téléspectateurs peuvent voter avec leur portable ou via les réseaux sociaux et décider quel candidat repartira dans le couloir de la mort.
"Eux peuvent me voir, confortablement installés devant leur poste, me juger, m'adorer ou me mépriser en toute impunité."
Alors les criminels essaient de se faire bien voir, ou de remporter l'épreuve d'immunité pour gagner une semaine supplémentaire. Un jeu d'alliances et de trahisons se met en place, à l'instar d'un Koh Lanta qui se déroulerait dans les couloirs d'un hôpital hanté.
"Pourquoi devrais-je offrir mon appui au plus mal barré de mes adversaires ?"

La production a quant à elle un rôle énorme à jouer. Par exemple elle organise des mini-jeux sadiques, elle s'assure que les règles soient respectées par tous ( mais qu'y a-t-il derrière cette porte 52 que nul n'est autorisé à franchir ? ), elle punit le cas échéant les réfractaires par de gentilles petites tortures, elle donne une dimension surnaturelle au sanatorium afin de pimenter encore le jeu et fragiliser
les esprits les plus manipulables. C'est tellement plus drôle si les candidats sont brisés ou s'ils font des crises de démence. L'une entendra les pleurs d'une petite fille, l'autre une balle invisible sans cesse en train de rebondir.
Et bien sûr, elle doit réviser la copie de son scénario pré-établi quand un incident chamboule le déroulé initial prévu de l'émission ( "L'avantage, mon cher ami, quand on édicte les règles, c'est la liberté dont on dispose pour les contourner." )

Malgré l'alléchant scénario je n'ai pas totalement adhéré à ce roman d'Armelle Carbonel. J'ai été transporté par les premières pages et par les dernières, quand toutes les explications aux multiples mystères nous sont révélées mais entre deux la lecture a été plus laborieuse.
Pourtant, les rebondissements sont nombreux, l'écriture n'a rien de rédhibitoire, le machiavélisme de l'ombre aux commandes de l'émission Criminal Loft et celui des candidats est censé tenir en haleine. Mais par moments j'avais l'impression de lire une véritable émission de télé-réalité.
C'est toujours mieux que de regarder, et c'est le thème du livre après tout. Mais chaque personnage - participant ou gardien - est antipathique, fourbe, manipulateur. Alors quelle importance si le public vote pour l'élimination de Michaël, de Léonard ou de Lynda ? Je n'irais pas jusqu'à dire que je n'ai jamais ressenti la moindre empathie, malgré sa cruauté on s'attache à John, mais elle était trop infime pour que je me sente révolté par le devenir de quiconque.

Finalement, choisir ce sujet si particulier s'est avéré à double tranchant. le roman distille une ambiance de paranoïa très réussie et a le mérite de dénoncer les dérives d'une téléréalité qui cherche à récolter toujours davantage de millions en provoquant, humiliant, choquant ; en s'adressant à nos instincts les plus primaires. Il y a également une vraie réflexion sur la peine de mort qui est encore appliquée dans vingt états des USA ( les téléspectateurs qui se substituent à la justice, l'éventuelle innocence de l'un des candidats ).
Mais même si on aurait envie de voter pour lui, il est difficile de s'émouvoir totalement du sort d'un narrateur qui proclame
"Il me faut trancher les chairs et sentir le sang se répandre sur mes mains. Donner la mort n'est pas le plus important. Ce n'est qu'une conséquence inéluctable de la souffrance." Ou de tout autre psychopathe condamné à respecter les consignes imposées pour avoir une maigre chance de sortir vainqueur et de pouvoir recommencer à tuer à peine à l'extérieur.
Quant à ceux qui tirent les ficelles, ils sont plus méprisables encore ("L'instigateur de ce reality show aurait mérité sa place dans le couloir de la mort ou, tout au moins, dans un institut psychiatrique.").
Au final, malgré sa mécanique bien huilée, ce thriller à l'américaine n'a provoqué chez moi aucune tension, aucune inquiétude, comme desservi par l'intérêt même de son sujet.
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