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Critique de Soleney


Ayant adoré La Stratégie Ender – et tombant sous la coupe d'une basse stratégie commerciale – j'ai succombé et acheté ce livre lorsque mes yeux se sont posés dessus à la librairie. Sans même regarder le résumé, juste en lisant l'étiquette « Par l'auteur de la Stratégie Ender ». Oui, je suis faible. Mais cette faiblesse m'a permis de découvrir une oeuvre riche et forte.
J'ai quand même eu le bon sens de lire des deux premières pages avant de l'acheter, et ce sont ces quelques lignes qui m'ont définitivement conquise. Y a pas à dire, Orson Scott Card sait y faire en matière d'incipit. On rentre directement dans l'action, sans préambule et on s'attache au petit Vanya. J'ai su que je ne partirai pas sans ce livre à ce moment-là.

On pourrait résumer l'histoire avec la question suivante : « Que s'est-il passé après La Belle au bois dormant ? » On pourrait, oui. Sauf que l'intrigue est bien plus complexe que ça. Scott Card a beaucoup développé la psychologie de ses personnages. Ils ont un point de vue critique et ironique sur leur situation (c'est d'ailleurs eux-mêmes qui ont fait le parallèle avec ce conte, je reprends juste leurs réflexions^^), ils se remettent en question et affrontent des difficultés que nous n'envisagions même pas. Eh oui. Personnellement, je ne pensais pas que revenir mille ans en arrière impliquait autant de soucis techniques. Vanya est obligé de se plier aux règles moyenâgeuses, et bien qu'il s'y connaisse à fond dans le sujet (il a étudié le proto-slave et les vieux manuscrits du 9e siècle, tout de même), il commet pas mal de bourdes. Par exemple, il affirme sa judaïté alors que la culture est massivement chrétienne (avec « l'ouverture » d'esprit de l'époque, je le souligne) ; la nudité d'un homme n'était pas choquante pour l'époque, c'était même banal (à l'inverse des femmes), ce qui entraine quelques quiproquos ; Vanya, qui est pourtant un athlète chez nous, est un risible petit maigrelet en comparaison des puissants guerriers de Taïna ; en voulant sauver une femme de l'étouffement, il se fait agresser par le frère de celle-ci qui croyait qu'il avait des intentions malhonnêtes
Mais Orson Scott Card ne s'est pas arrêté là. Son héros effectue un voyage dans le temps pour vivre la suite du conte de Perrault. Mais qui dit « voyage dans le temps » dit « complications spatio-temporelles ». En effet, chaque chose que fait Ivan peut radicalement transformer le présent. Ses connaissances de l'écriture dite « évoluée », sa conscience de l'importance de l'écrit pour que le futur se souvienne de Taïna, son histoire, tout simplement : un paysan venu d'un pays lointain qui sauve une princesse de la sorcière Baba Yaga et l'épouse… Malgré lui, Ivan change le passé… Jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il a déjà changé et qu'il en fait déjà partie. La légende de la maison à pattes de poule de Baba Yaga existait déjà avant qu'il n'intervienne.
Se pose donc la question du destin : Vanya avait-il le choix ? Tous ses actes étaient-ils prédéterminés ? Est-il l'instrument d'une puissance supérieure dont il accompli la volonté malgré lui ? Cette puissance est-elle bonne ou mauvaise ? Et enfin, s'il était destiné à vivre au 9e siècle, pourquoi est-il né au 20e ? Est-il un homme du 20e ou du 9e siècle ?

Dans sa narration, l'auteur a beaucoup développé le point de vue des personnages. C'est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Une bonne dans le sens où on s'identifie très bien à eux et on se met facilement à leur place. Mais aussi une mauvaise car on revient plusieurs fois sur des scènes pour les voir à travers les yeux de chacun. Par moments, l'histoire avance donc relativement lentement et c'est un peu agaçant.
Personnellement, je pense qu'il aurait fallu laisser une plus grande part de mystère aux personnages secondaires. Qui d'entre nous peut prétendre comprendre intégralement les pensées d'un de nos proches ? Scott Card aurait peut-être dû se concentrer sur la perception du héros et laisser les intentions des autres dans le flou – ou les expliquer à postériori. Ce ralentissement de l'histoire en est le principal défaut – c'est la cause du fait que j'ai eu du mal à poursuivre ma lecture en approchant des cent dernières pages (qui sont pourtant habituellement les plus intéressantes dans un livre). Et comme l'écriture donne beaucoup de place à l'analyse psychologique, l'action est peu présente (le grand combat de fin entre les deux armées était particulièrement décevant).
Mais les personnages secondaires les moins détaillés ont beaucoup d'épaisseur, car leurs réflexions ne sont pas toutes retranscrites – du moins dans les débuts. Je pense notamment aux parents de Vanya. Son père est un professeur d'université, un homme plein d'humour, mais aussi doté d'un esprit de logique implacable. Et sa mère – ah, sa mère ! – est une femme mystérieuse et pleine d'ironie. Rien ne la touche, elle semble se moquer de tout. Mais petit à petit, on met à jour ses secrets et on se rend compte que ce n'est pas vrai – évidemment. C'est la même chose pour Baba Yaga : elle nous apparaît comme une femme qui a un sens de l'humour très… gore – et tellement divertissant... Sa relation avec Ours est très amusante car très ambiguë, entre amour et haine. La seule chose qui les maintient ensemble est le pouvoir. Et comme c'est un très vieux couple, on a droit à des piques très colorées (quoi que plus fines que celles de Scènes de ménage ;)). Au début, j'ai adoré la sorcière, car elle sortait du cliché du grand méchant grâce à son sens de l'humour. Mais progressivement, elle perd cette particularité qui m'avait tant plu. Plus on avance, plus elle est mauvaise simplement parce que c'est la méchante de l'histoire. Dommage…

La relation que Vanya entretient avec la princesse est aussi très intéressante. Les deux ne savent pas trop quoi penser de l'autre, ayant vécu dans des mondes radicalement différents et n'ayant pas les mêmes acquis culturels. Ils essayent de se comprendre pour tenir leur engagement (le mariage relevant de la parole d'honneur au 9e siècle), mais c'est très difficile. Ils se blessent et s'insultent sans le vouloir, se tournent autour, cherchent à se cerner… On est loin des bêtes histoires à l'eau de rose.
En revanche, ce que j'ai trouvé étrange, c'est que Vanya a 25 ans et qu'il a une fiancée, mais qu'il est puceau. What ? Mais comment est-ce possible ? Il a jamais (jamais ?) eu de copine avant Ruth ? Et même, c'est un homme, jeune et vigoureux, et pourtant il refuse de coucher avec elle. Enfin, on est au 20e siècle, quand même ! C'est pas courant, ce genre de choses. Évidemment, on se doute que l'auteur a voulu faire ça pour que Katerina et lui s'échangent leur pucelage (parce que, bien sûr, c'est l'amour idyllique, son âme soeur, la femme de sa vie). Mais définitivement, je pense que c'est une mauvaise idée. Certes, ça nous rapproche du conte originel (Belle au bois dormant, Disney et amour éternel), mais la relation d'Ivan et Katerina perd de la crédibilité.

J'ai aussi l'impression que certaines choses arrivent un peu trop facilement. La mère de Vanya avait tellement plus de charme lorsqu'on pensait qu'elle avait simplement un instinct plus développé que la normale. Katerina déclare être enceinte deux semaines seulement après ses premiers rapports avec son mari (qui culminent au nombre de deux, trois maximum. Un peu de modération, que diable ! On sait bien que cet enfant est crucial, mais, comment dire ? C'est un peu téléphoné).

Et pourtant c'est un livre que je recommande, car il traite d'un sujet parfaitement banal (l'homme qui vient délivrer la belle princesse et sauver son royaume de la méchante sorcière) de manière originale. Je suis persuadée que je relirai cette histoire avec plaisir.
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