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Critique de Tempsdelecture


La rentrée chez les Editions Métailié est décidément bien brésilienne, et résolument féminine ! Cette fois-ci, le texte nous vient d'une autrice, Rita Carelli. Il s'agit de son premier roman en revanche elle exerce déjà ses talents d'écrivaine en tant que plume officielle d'un homme politique indien et dans la littérature jeunesse. C'est par ce dernier biais d'ailleurs qu'elle s'est d'abord consacrée à l'Amazonie et ses groupes ethniques, sujet au coeur de ce roman. Terre noire se réfère en effet à la terre fertile que l'on trouve en Amazonie sur les terres indigènes, des terres très riches, mais également pures, exemptes de toute pollution urbaine.


C'est l'histoire d'Ana, fille de parents séparés, qui vit avec sa mère à São Paulo. Lorsque cette dernière décède brutalement, son père archéologue vient récupérer sa fille pour l'emmener là où il vit et travaille, au milieu d'une tribu indigène dans le Xingu. le parc indigène du Xingu se situe dans le nord-est de l'État du Mato Grosso, dans le sud de l'Amazonie brésilienne. En alternance avec ces chapitres qui se concentrent sur la nouvelle de l'adolescente, on retrouve une Ana plus vieille d'une quinzaine d'années qui vit à Paris dans un minuscule studio, au beau milieu d'une préparation de thèse, avec un petit ami insignifiant. La vie de la jeune Ana de quinze ans, trimballée comme une valise avec un père qu'elle connaît à peine, va changer du tout au tout, avec cette mère morte remplacée par un père qui naît à peine dans son rôle de géniteur et au beau milieu de la forêt, loin du confort, des us et coutumes de la vie urbaine. Ana va devenir Anakinalo, nouvelle venue vite adoptée par cette grande famille tribale, où le chef et son père se considèrent comme frères, où elle s'initie peu à peu à la vie tribale.

Cette vie en Amazonie ne semble avoir été qu'un épisode transitoire de sa vie puisqu'on la retrouve plus tard en France. Mais c'est une Ana empreinte d'une autre maturité, qui s'est totalement fondue dans la culture, qui la respecte et l'étudie, et qui lui a appris à voir la vie autrement que par les yeux de la citadine qu'elle était. Pour cela, il a fallu se dénuer des a priori, de ses repères et apprendre, d'abord à dormir dans un hamac. Cela veut dire, vivre dans le milieu qui est devenu le sien, en cohésion avec sa faune et sa flore : et là, c'est l'occasion de critiques envers l'action gouvernementale dévastatrice et xénophobe qui tend à vouloir tout détruire dans sa détestation des peuples indigènes. de la vénalité de ces mêmes gens qui convoitent avec avidité ces terres fertiles, Terra preta ou Terra preta do índio, qui sont étudiées par les archéologues du monde entier, et par le père d'Ana en premier lieu.

C'est l'apprivoisement du deuil pour cette jeune fille qui vit avec ses premières menstruations, et l'apprentissage d'une nouvelle forme de vie en contact direct avec le sol, la forêt, l'eau et leurs populations animales. Tout le contraire de ce que proposent la vie urbaine, et ses politiques, chacun planqué chez soi ou dans son bureau cherchant à trouver la meilleure façon pour accroître ses biens. Une forme de vie dépouillée, aux valeurs familiales et claniques fortes, profondément attachée à la terre qui l'accueille et la nourrit, à une vie spirituelle où les anciens, les défunts, les esprits sont loués, à une vie spirituelle forte, loin du matérialisme des centres urbains. Et cette terre noire, qui naît de la coexistence symbiotique des indigènes avec la forêt, semble prouver le bon fonctionnement de leur mode de vie, le seul qui ne détruit et ne pollue pas tout, mais au contraire produire un sol d'une richesse inégalée.

Ce roman s'inspire aussi de la vie personnelle de Rita Carelli , qui elle-même a passé une partie de son enfance au sein de populations tribales, sa mère exerçant la profession d'anthropologue, son père celle de cinéaste. C'est avec son expérience personnelle que ces personnages indigènes ont été créés, mais elle sert également surtout de biais de transmission de la cosmologie de ces peuples, de leur vie rituelle, collective. C'est une oeuvre de transmission aussi, celle de sa passion pour ces indigènes qui n'ont pas forcément la présence dans la littérature qu'elle peut avoir, de son expérience, de leur savoir. Une transmission qu'elle transcrit également à travers cette relation du père et de la fille, qui a vraiment pu se concrétiser au sein de leur vie tribale, celle qui a la force de maintenir ces liens indéboulonnables entre membres, entre les membres et individus extérieurs qui s'inscrivent dans leur giron. En témoigne la relation fraternelle du chef et de son père, que rien ne réunit à part leur statut d'humanité.

Si l'on reprend le titre en portugais Terrapreta, il s'agit de l'unification tout à fait personnelle de l'autrice de deux termes Terra preta, une terre où elle a voulu nous emmener, pour peut-être repenser une autre forme d'être au monde, dans cette période où l'on s'aperçoit qu'il faut repenser à sa façon de consommer, repenser une autre façon d'exister envers soi-même, envers l'autre. L'autrice a une phrase qui conclue parfaitement cette lecture : je ne pense humblement pas que ce soit la littérature qui va changer le monde, mais elle plante ses graines.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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