Citations sur Le Lierre et l'Araignée (20)
En 1918, l’accueil des soldats alsaciens, pour la plupart enrôlés dans la marine impériale, avait été glacial, à leur retour.
L’état français attribuait alors aux alsaciens des cartes d‘identité discriminatoires en fonction de notre « degré de sang germanique ».
« - Mention A pour ceux dont les deux parents sont nés en Alsace française
avant 1870.
- Mention B si l’un des deux parents n’est pas français de souche.
- Mention C si les parents sont nés dans un pays neutre pendant la guerre.
- Mention D pour des parents nés en Allemagne.
Les catégories D avaient été spoliées de leurs biens et expulsées vers l’Allemagne, en tout 150 000 personnes jetées à la rue.
Les B et C avait été consignées à un périmètre autour de leur domicile et un
certain nombre d’emplois leurs étaient interdits.
Notre tâche était celle de Pénélope d’Ithaque. Défaire la nuit, la toile tissée le jour.
Toute cette clique faisait désormais régner l’ordre, ou plutôt la terreur, dans les moindres recoins de la société alsacienne et mosellane.
Mais si, en dépit du rouleau compresseur de l’appareil nazi, survivait une étincelle de rébellion, alors le Gauleiter disposait d’un outil particulier. Un camp de rééducation des récalcitrants.
Ce camp fonctionnait comme un organe de propagande.
On y « reprogrammait » les rebelles à coup de travaux forcés, de jeûnes et de
châtiments corporels. Au bout de quelques mois, les prisonniers étaient relâchés et leur aspect fantomatique suffisait à dissuader quiconque de braver les autorités allemandes.
Avant de moisir dans la cabane des jeunes, on avait écopé de la disciplinaire, où l’on nous faisait perdre 20 kg en 1 mois. Rien de mieux que la faim pour briser toute camaraderie. Nous étions affamés en permanence et ne pensions qu’à une chose : bouffer. Ça nous rendait fous… Et les journées étaient interminables
jadis, dans les contrées alémaniques, quand un enfant naissait, ses parents plantaient son Todtenbaum, son "arbre de mort".
Au moment des funérailles, l'arbre était abattu et son bois alimentait le bûcher funéraire. Mais les riverains du Rhin avaient eux une autre coutume : ils évidaient le tronc pour y placer la dépouille. Cette barque funéraire était confiée au fleuve, qui se chargeait de l'acheminer vers les séjour des bienheureux.
Victor Hugo disait du Rhin qu'il était "historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil., pailleté comme un fleuve d’Amérique, couvert de fantômes comme un fleuve d'Asie".
S'il le voyait aujourd'hui...
Les murs laissaient passer les cris des Allemands et les coups de poing qui pleuvaient sur la tête des copains. Ça nous donnait du courage car on entendait bien que les camarades ne lâchaient rien. Ce jour-là, les nazis ont tabassé et torturé 14 gamins de 15 ans sans réussir à leur arracher le moindre aveu.
De toute façon va falloir rentrer sinon on va se faire appeler Arthur. (8h : Acht Uhr en allemand, l'heure du couvre-feu. De là vient l'expression "se faire appeler Arthur" pour les retardataires).
En nous couvrant de ses bras immenses, le vieux chêne nous accordait un cessez-le-feu. Il en avait vu passer : les Panzers, les casques à point du Kaiser en 1914, les obus du Kronprinz en 1870, les grognards du Corse, les régiments suédois et tant d'autres, mais il tenait toujours vaillamment ses positions. Alors nous essayons de profiter d'une dernière baignade de fin d'été. Le temps de cette parenthèse, nous avions à nouveau nos 15 ans.
Les enseignes, les noms des rues ... Toutes références à la France disparaissaient de l'espace public. Et la place Broglie fut désignée pour porter le nom de l'autorité suprême. Il fallait, au moins ça pour tenter de chasser le prestigieux génie des lieux : c'est ici qu'avait été composée et entonnée la première Marseillaise en avril 1792