AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Levant


Avec des "si" on ne met pas seulement Paris en bouteille, on peut donner dans l'uchronie. Cette pratique consiste à refaire l'histoire sur la base de variantes hypothétiques. Elle est aussi appelée, moins pompeusement, histoire alternative.
Aussi, sur ce registre et dans le sujet qui fonde son ouvrage, le Royaume, Emmanuel Carrère peut-il extrapoler : si Jésus n'avait été mis en croix dans sa trente-troisième année, mais était parti de sa belle mort, le grand âge venu, le christianisme aurait-il vu le jour ? Hypothèse pour une histoire alternative du christianisme qui celle-ci tournerait court.

Si le christianisme est devenu ce qu'il est aujourd'hui, vingt siècles plus tard, c'est bien aux apôtres et disciples de Jésus qu'on le doit, parmi lesquels Paul et Luc qu'Emmanuel Carrère à choisis pour centrer le sujet de ce qu'il qualifie d'enquête sur la naissance du christianisme.

Cet ouvrage était fait pour moi. Il l'a été et le sera pour d'autres encore à n'en pas douter, mais pour ce qui me concerne, je me le suis approprié avec le plus vif intérêt. Même s'il est tellement fouillé et documenté que le souci du détail finit par provoquer quelques longueurs et redites. Mais peut-on reprocher à un auteur de vouloir aller au fond des choses dans son argumentation ?
Dans la formulation d'hypothèses aussi. Car, comme le dit Emmanuel Carrère, les certitudes que l'on a de cette époque sont, par la force du temps mais pas seulement, nécessairement clairsemées. De grands blancs ont ainsi laissé le champ libre à l'imagination de qui aura voulu faire valoir sa propre conviction. Conviction qui sera le plus souvent travestie en vérité. Mais vérité n'est pas exactitude. Ce n'est pas Marguerite Yourcenar qui le démentira.

Une religion, fût-elle l'une des trois qualifiée, sans doute abusivement, de religion du Livre, n'est jamais qu'une secte qui a réussi. L'audience de l'une ou l'autre, reposant sur la croyance qu'elle parvient à ancrer dans l'esprit de ses adeptes, est à mettre au crédit de ses prêcheurs, de leur charisme, de leur force de persuasion. L'enquête d'Emmanuel Carrère cherche à décortiquer ce mécanisme qui a fait le succès du christianisme. Ce processus qui fait qu'un gourou devient Dieu sur terre.

La démarche est d'autant plus intéressante, nous confie-t-il dans la première partie de son ouvrage, qu'agnostique au moment où il l'écrit, il avait été gagné par la foi quinze ans plus tôt. Elle avait envahi son esprit comme la maladie le corps, par contagion. Devenu sceptique depuis, il a pu s'autoriser une confrontation de la vision des choses. L'approche métaphysique versus l'approche historique, réputée plus objective, quoi que... Il avoue même, dans quelques entretiens de promotion de son ouvrage, avoir pris dans sa posture rationaliste des positions de nature à choquer le croyant qu'il avait été. Et donc ceux qui le sont aujourd'hui. Ces derniers pourront l'être d'ailleurs à la seule vulgarité des styles et vocabulaires de certains passages. Et plus surement encore à la relation des prédilections sexuelles de leur auteur. L'effet était recherché. Pour être du domaine du mystique, la religion n'en est pas moins affaire d'hommes. Pour preuve, les glorieux temps, sans doute bénis, de l'apogée du christianisme, au cours desquels, fort de leur monopole, les plus hauts dignitaires de l'Eglise qu'il faut alors écrire avec une majuscule, n'ont pas été les derniers à amasser de grandes richesses bien terrestres celles-là et se vautrer dans d'autres voluptés tout aussi dénuées de spiritualité, tout en prêchant pauvreté et abstinence. Les Cathares en leur temps qui avaient bien perçu l'écueil ont très vite été disqualifiés, affublés d'hérésie et éradiqués. Dans la paix du Seigneur bien entendu.

Emmanuel Carrère a réalisé un travail énorme pour venir à bout de son ouvrage. En partant d'ailleurs d'une vingtaine de cahiers de notes qu'il avait remplis du temps de sa phase mystique. Le célèbre historien Paul Veyne, plusieurs fois cités dans l'ouvrage, a été le premier à le reconnaître. L'auteur du Royaume essaie de faire la part des choses entre le reconnu historiquement par tous et les interprétations des mêmes, comblant ainsi les vides chacun à sa façon, selon sa conviction. Le résultat étant que ce que "l'un affirme, certains le trouvent lumineux, et lorsque d'autres affirment le contraire, certains autres le trouvent tout aussi lumineux."

L'ouvrage s'organise en trois parties. La première autobiographique, la seconde consacrée à l'apôtre Paul, dont les lettres révèlent une fulgurance, un vrai talent d'écrivain, la troisième centrée sur Luc, médecin grec, non juif, compagnon de Paul et l'un des quatre évangélistes. En rédigeant Les Actes, il est devenu chroniqueur de ce temps. Ses écrits nous content l'histoire de ce groupe de fidèles de la première heure. Mais, les témoins directs disparus, l'histoire de la vie de Jésus s'est aussi et surtout colportée de bouche à oreille, en prenant au fil des siècles cette distance avec la réalité qui a renforcé son aura mystique et fait certitude de ce qui avait pu être inventé par les prêcheurs de tout acabit. Pas toujours au bénéfice de la vérité vraie, loin s'en faut.

Dans notre culture chrétienne, ce terme de secte affecte une connotation de marginalisation. Pourtant, nous dit Emmanuel Carrère, adopter le dogme d'une secte est plus noble que de persister dans celui de la religion qui nous accueilli le jour de notre naissance. Choisir est toujours plus noble que se laisser dicter sa conduite.

L'essentiel est de croire. C'est à partir de là que tout commence, ou selon, tourne court.

Très bel ouvrage qui nous est soumis dans un style moderne dénué des béatitudes et précautions qui auréolent habituellement les thèmes religieux. C'est ouvrage était vraiment fait pour moi.
Commenter  J’apprécie          190



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}