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Critique de AugustineBarthelemy


Voilà, me semble-t-il, un thriller que l'on n'a plus à présenter ! Vous le savez, je ne suis pas une amatrice de thrillers, j'en ressors la plupart du temps avec une moue dépitée, mais je ne peux m'empêcher d'y retourner. Pourquoi ? Parce que parfois, j'ai juste besoin d'une lecture rapide, divertissante, qui m'occupe l'esprit sans le faire cogiter. Ce début de mois de novembre a été propice à ce type de lecture, l'esprit préoccupé par toute autre chose, il n'était pas bien grave si je loupais une ou deux pages à cause de mon inattention. Alors, qu'ai-je pensé de ce fameux le Chuchoteur, dont les avis dithyrambiques inondent la toile depuis maintenant une décennie ? Attention, gros spoilers dans cette chronique, surtout vers la fin !

Mila Vasquez est reconnue de tous comme la meilleure agent de police en matière de rapt d'enfants. C'est une femme déterminée, qui s'habille comme un homme, se comporte de la façon la moins féminine possible pour éviter d'être courtisée. Car Mila a un terrible secret qui la coupe du reste du monde : elle est incapable d'empathie depuis un événement traumatique survenu dans son enfance. Elle ne ressent rien pour personne. Et elle ne fait qu'imiter les sentiments que l'on attend d'elle. Mais, consciente de ce manque troublant, elle prend quand même le temps de s'automutiler, histoire de ressentir physiquement la souffrance que sa psyché lui refuse. Bon, vous le voyez le portrait ordinaire de l'agent de police torturé par sa noirceur intérieure et ses problèmes personnels ? Alors, sachez que les autres membres de l'équipe sont tout autant caricaturaux : le chef d'équipe Roche est un politicard arriviste, on aura le vieux de la vieille qui a tout vu et tout connu, l'ancien militaire qui connaît toutes les techniques d'interrogatoire et qui plie tous les suspects, la flic agressive parce qu'elle est en instance de divorce et le profiler hyper intelligent, expert criminologue, dont la femme est partie un beau matin, l'abandonnant avec son gosse.

Notre super agent de police – d'ailleurs, on se demande pourquoi elle n'est pas promue depuis des années et reste simplement un « agent »- est appelée en renfort pour résoudre une histoire sordide. Car quelque part dans le monde occidental – impossible d'être plus précise, Donato Carrisi ayant volontairement brouillé toute dimension spatiale (ni mention de lieux, ni prénoms typiques qui pourraient pointer une zone géographique plus restreinte) – un maniaque à enlever cinq petites filles en une semaine et l'on vient de trouver, dans une clairière isolée, cinq tombes minuscules : minuscules car seuls leurs bras gauches ont été retrouvés. Sauf qu'en fait, il y a six bras gauches. À qui appartient-il ? et pourquoi n'y a-t-il aucune trace d'une sixième disparition ? Mila devra trouver l'identité de cette fillette. Enfin, ça, c'est sur le papier, parce que très vite, Mila va se contenter de suivre l'équipe et les énigmes que laisse très gentiment derrière lui Albert – non, pas le cinquième mousquetaire, mais le psychopathe qui se voit affubler de ce nom parce qu'il serait dangereux et contre-productif de le déshumaniser en le qualifiant de « monstre » (j'ai l'air de me moquer, mais je suis plutôt d'accord avec ça.) Que le lecteur se le tienne pour dit : l'équipe spéciale ne va pas aller de découverte en découverte de façon active, mais va se faire balader tout du long par un grand manipulateur, en espérant l'erreur qui le révèlera à la face du monde. Goran Gavila, le profiler, aura la gentillesse de nous expliquer, étape par étape, à quel type de criminel on a affaire, quels sont les processus et les ressorts qui le mènent à l'acte criminel. C'est instructif, mais c'est un peu lassant sur presque 600 pages (et inutile de préciser que j'en ai déjà oublié la moitié).

Revenons à nos moutons, nos supers enquêteurs sont un peu comme deux ronds de flan devant ces bras. Heureusement, Albert aura la bonté de mettre dans le coffre d'une voiture le cadavre de la première fillette. Alexander Bermann est arrêté à la douane avec cet étrange cadeau : comme il n'a pas tout à fait la conscience tranquille – le lecteur qui a fait sa connaissance plus tôt aura déjà compris que le monsieur est pédophile – le voilà qu'il se suicide en se tranchant les veines avec les dents. Aie ! encore un reproche qui peut se calquer sur tous les thrillers de ces dernières années : la surenchère dans le glauque et l'horreur. Car en terme de mise à mort dégueulasse et de mise en scène macabre, le roman est particulièrement généreux : l'exsanguination, ce fameux suicide, le vol plané du haut d'une tour (ça, ça passe crème, presque trop soft), l'égorgement sanguinolent et la mise en pièces de trois cadavres si peu délicate qu'il faille repeindre les murs pour cacher la silhouette d'Albert qui s'y est dessinée à l'aide des multiples projections sanguines, les cadavres purulents dont la peau décomposée pendouille sur les lits, ceux qui reposent dans des litres de larme, ceux qui sont habillés comme des poupées, ceux qui sourient joyeusement dans la mort, les charniers cachés sur la propriété d'un héritier milliardaire qui paye son personnel pour qu'il garde le silence sur son passe-temps etc etc… on a une belle panoplie de déviances.

Anybref… La construction du roman est particulièrement redondante et alambiquée : à chaque fois, on retrouvera le corps d'une fillette et l'on découvrira systématiquement un ou des crimes anciens qui étaient restés dissimulés dans l'ombre. le pire, c'est que le lecteur a la fâcheuse impression que l'équipe est larguée et ne comprend ce schéma qu'au bout du quatrième cadavre ! Ils sont un peu obtus nos cadors de l'équipe spéciale…. Enfin, nageant en eaux troubles, Goran Gavila finit par déterminer qu'il y a derrière tous ces cas nouvellement déterrés une seule et même personne qui les relie : Albert, le chuchoteur. Qui prend pour cible des êtres sociopathes, qui les pousse à commettre leur premier crime, leur montrant l'impunité et la facilité de tuer son prochain. Mais Albert, qui doit être traumatisé par une enfance difficile, est lui-même incapable de commettre le moindre meurtre, nous apprend-il (comment peut-il en arriver à cette conclusion, mystère, je rappelle qu'il ignore à ce stade l'identité d'Albert, il ne peut donc pas connaître son passé et spéculer sur ce qu'il peut ou ne peut pas faire). Inciter les autres est son dérivatif pervers. Alors, pourquoi Albert, après avoir inspiré tant de belles vocations, décide soudain d'incriminer ses poulains, on ne le saura jamais. Peut-être s'amuse-t-il à défaire ce qu'il a fait juste pour prouver qu'il en a le pouvoir ? Ne cherchons pas ses motivations. Un fou psychopathe ne doit pas en avoir besoin pour agir. Surtout que ça entraîne une autre interrogation : pourquoi cet homme qui a pris soin pendant des années de rester sous les radars de la police sort-il du bois ? Pour révéler son existence ? N'est-ce pas un peu stupide ? Pour devenir célèbre ? Non plus, parce que s'il révèle sa présence, il fait tout pour ne laisser aucune trace ADN derrière lui pour que son identité reste secrète.

La grande question est : comment débusquer cet être sombre qui rôde dans les esprits sociopathiques et reste dans l'ombre depuis des années ? Je vous le donne en mille : une voyante grecque. Une connaissance de Mila, qui l'a secourue quand elle était jeune. Une ancienne bonne soeur qui a été renvoyée des ordres justement à cause de ses dons médiumniques. Alors je sais, je connais la théorie de la suspension volontaire d'incrédulité, je suis censée accepter cet élément parce que je me trouve dans une fiction et qu'elle n'est pas le reflet exact de la réalité. Mais NON, enfin ! c'est du grand n'importe quoi. J'avale déjà des litres et des litres de sang, des cadavres que l'on déplace sans jamais se faire prendre, des familles que l'on séquestre pendant des mois sans que quiconque ne s'inquiète de leur absence (genre, même pas l'école qui ne revoit plus deux gamins et qui ne se pose absolument aucune question…quand je pense que mon collège appelait pour un retard et en connaître les causes…), j'accepte même une Mila qui se base sur ses frissons dans le cou pour résoudre les meurtres (et à défaut de voir un réel talent dans la collecte des indices, on peut lui reconnaître une intuition surnaturelle). La voyante, c'est trop. Surtout qu'attention, elle va lire dans les souvenirs d'un milliardaire au seuil de la mort qui a des problèmes latents avec sa sexualité (le type est partagé entre son homosexualité refoulée et son désir incestueux pour sa soeur) et qui est plongé dans un profond coma parce que monsieur est atteint d'un cancer de l'estomac héréditaire (et ça, c'est ce qui justifie pour lui ses assassinats : il n'a pas goût à la vie parce qu'il a beaucoup d'argent et qu'il sait en plus qu'il va mourir à cinquante ans, comme son père et son grand-père. Un chouia égoïste le milliardaire, non ?). Alors, c'est parfait, ça permet de débusquer l'ombre d'Albert, de faire avancer un tant soit peu l'enquête qui patine, mais on justifie ça comment devant un tribunal ? Et comment un esprit rationnel peut avaler ça ? Parce qu'il n'y a pas un seul membre de l'équipe qui remet cette décision en cause ni qui ne formule un quelconque doute devant les révélations de la voyante. de toute façon, cette équipe hyper spéciale avait de prime abord décidé de ne pas parler à Goran et Mila du cadavre retrouvé chez ce milliardaire. LOGIQUE ! c'est tellement plus facile de résoudre une enquête quand son équipe nous cache carrément un cadavre.

En plus d'une construction labyrinthique inutilement compliquée, qui traîne en longueur en multipliant les sous-intrigues et les tueurs, le Chuchoteur est aussi prévisible. Oui, quand on sème les cadavres comme le Petit Poucet sème des cailloux, on comprend où va déboucher le chemin : sur les membres de l'équipe. Alerte spoiler.

Alors, le Chuchoteur est-il un mauvais livre ? Non, loin de là et tout dépend surtout de l'optique avec laquelle vous l'avez abordé. Je l'ai dit au début de cette chronique, ce que je cherchais en commençant ce thriller, c'était un divertissement pur et simple, une lecture qui permette de m'évader quelques heures. Et c'est une réussite de ce point de vue. On y retrouve de multiples rebondissements (la prévisibilité que j'y vois dépend aussi du lecteur que vous êtes), des tueurs qui font froid dans le dos, et le suspens est efficace – on tourne les pages avec aisance une fois passées les cinquante premières pages, un poil ennuyeuses.

Mais, parce qu'il y aura toujours un mais, il n'empêche que les personnages n'ont qu'une épaisseur de façade, que l'écriture est certes fluide mais banale, qu'elle recourt à quelques raccourcis pour implanter une ambiance sombre et oppressante. Il est toujours plus facile d'éprouver de l'angoisse face à un orphelinat abandonné au milieu de nulle part que dans un café sur la place Saint Marc. Certaines phrases font sourire, nous sommes dans un roman dans lequel on voit la profondeur des ténèbres dans le regard des tueurs et où l'on nous dit que si le bien est propre, le mal salit (au vu des litres de sang laissés sur les murs, on ne peut être que d'accord). Il y a un côté grandiloquent, grotesque et presque désuet dans ces phrases bateaux qui se veulent profondes et philosophes mais n'ont que l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette.
Lien : https://enquetelitteraire.wo..
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