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Critique de Pecosa


Dans la famille « Lutte des classes façon puzzle », je demande Blanche de Rigny, 38 ans, mère célibataire lourdement handicapée, appareillée, employée à la Reprographie judiciaire, où elle duplique en douce des données confidentielles pour mettre un peu de beurre dans ses épinards.
Blanche est Bretonne. En arrêt maladie, elle rend visite à son père sur l'île où vit sa famille depuis des générations et désoeuvrée, se met à s'intéresser à son patronyme, et à la branche inconnue à particule.
Doublement exclue, par son milieu social, et par son handicap, Blanche s'aperçoit que les de Rigny eux ont toujours su s'enrichir sur le dos des autres, sans que ni les guerres, ni les krachs boursiers ne mettent à mal leur capital.
Et comble de l'indécence, son ancêtre Auguste de Rigny a échappé à la conscription et à la guerre de 1870 en s'achetant un remplaçant parti au combat à sa place.
Bon sang ne saurait mentir. Si les de Rigny ôtaient de leur soleil ceux qui se mettaient en travers de leur fortune, Blanche va elle envoyer ad patres les rejetons indignes qui piétinent la populace de leur mépris.

On l'aura compris, Blanche est la digne héritière de la Daronne, une femme seule tirant le diable par la queue, et qui ne dédaigne pas marcher en dehors des clous pour survivre: « Aux censeurs de droite qui m'accuseraient de fausser le jeu économique ou voudraient m'interdire de vivre comme je vis, aux gentilles personnes de gauche qui pour mon bien seraient tentées de me faire la morale ou de m'asséner des messages de prévention débiles, je répondrais que, lorsqu'il n'y a pas de victime à une infraction, si ce n'est ni le corps d'autrui, ni ses biens, ni ses droits qui sont en danger, alors c'est l'Ordre que l'on cherche à protéger, et l'Ordre, ça fait très longtemps que je l'emmerde… Et à ce que je sache, ce n'est pas moi qui ai créé ce statut merdique d'autoentrepreneurs… »


Plus Hannelore Cayre vieillit, et plus elle flingue. Il semble que le roman ait été écrit au moment où le pays s'enflammait. Etablissant sans-cesse des liens entre cette France du début du XXIème siècle en pleine fracture sociale et la société inégalitaire du XIXème siècle, multipliant les aller-retour entre la de Rigny de 2019 et son ancêtre de 1870, dont elle cherche la trace pendant la Commune, la romancière dresse un portrait assez désespéré et désespérant du pays.
J'aime vraiment beaucoup son style, son humour caustique, et sa sobriété. Sa concision faisait merveille dans La Daronne, ici , elle m'a parfois gênée. Ça taille sec, parfois un peu trop, quite à rendre certains passages un peu bancals comme la cohabitation avec la douairière ou le voyage en Inde, et à déséquilibrer l'ensemble, expédiez, c'est pesé. Mais cela n'enlève rien au plaisir de lecture que procure Richesse oblige, les bons mots, les références à la littérature du XIXème siècle, l'ahurissante plongée dans le commerce du remplacement militaire, véritable marché aux esclaves, et l'incursion dans le Paris de la Commune. Le roman trouve aussi une résonance particulière en ce moment, lorsque l'on se demande dans quelles conditions idylliques ceux qui ont délocalisé et prospéré pendant des décennies passent leur confinement alors que chaque matin les smicards se lèvent pour aller au casse-pipe.
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