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Critique de JeanLouisBOIS


Pascal Duarte, radicalement asocial.

Un condamné à mort, Pascal Duarte, nous raconte par écrit sa vie en attendant d'être exécuté. Ce qui peut de prime abord surprendre, c'est que cet homme de l'action peu habitué à écrire nous décrit tout au long de son récit les pires atrocités sans paraître en être affecté, ému ou même troublé, alors qu'il est le principal protagoniste de cette histoire. Autour de ce récit à l'intrigue relativement simple, Camilo José Cela construit un livre où ressortent des qualités littéraires évidentes. L'auteur peut ainsi parler de la société rurale des confins de l'Espagne de la première moitié du 20ème siècle et manifester son pessimisme sur la nature humaine.

La Famille de Pascal Duarte répond à une composition parfaitement élaborée comme le montre la table des matières. On a affaire à un livre enchâssé : le récit central est précédé et suivi d'une note du transcripteur ainsi que de documents annexes permettant de mettre le témoignage en situation. Cette construction présente l'avantage de rendre cette fiction plus « crédible » et plus complète, mais aussi permettait-elle à l'auteur en 1942 de se désolidariser du texte et de n'apparaître que comme le simple véhicule d'une réalité qui lui est extérieure et qu'il ne contrôlerait pas. Cette grosse ficelle n'a pas empêché La Famille de Pascal Duarte de faire scandale lors de sa parution et d'être censuré … alors que le transcripteur du texte avait annoncé avoir déjà supprimé les parties insoutenables du texte, titillant ainsi l'imagination compensatrice du lecteur !

Ce scandale de 1942 provient à mon avis de deux facteurs : l'amoralité de Pascal Duarte et l'inefficacité des institutions de la société à le remettre dans le droit chemin. D'une part, le personnage principal se caractérise par sa froideur, son détachement et finalement son inhumanité face aux actes horribles qu'il voit puis qu'il commet, et c'est en cela qu'explose son amoralité, son ignorance complète de la mise en pratique de toute morale. D'autre part, toutes les composantes de la société que sont le village, la famille, la religion ou la prison ne semblent pas avoir d'influence significative sur la conduite du « héros » qui continue son chemin sans autres bornes que sa volonté immédiate, ses intérêts et ses instincts. A sa façon, il remet en cause les fondements de la société de son époque.

Enfin, par son roman, Cela laisse entrevoir son pessimisme sur la nature humaine. de nombreuses occurrences font référence à la fatalité, à la malédiction, à un certain déterminisme qui semblent indiquer que même s'il le voulait, Pascal Duarte ne pourrait pas s'amender, s'améliorer, il affirme être la marionnette de forces qui le dépassent, d'un destin qui décide en dehors de lui, de sa volonté et qui pourrait expliquer sa très relative « innocence ». En ce sens, l'auteur cherche peut-être à nous montrer une certaine forme de la tragédie de la condition humaine.

En ce qui me concerne, je ne trouve pas ce roman de Cela parfaitement convaincant même s'il est bien mené, les faits décrits étant souvent trop exagérés et leur accumulation trop peu crédible pour ressentir une certaine proximité avec le narrateur. La Famille de Pascal Duarte me fait irrésistiblement penser à L'Etranger de Camus avec des problématiques proches mais des moyens littéraires très différents. Il est à remarquer que ces deux livres sont pratiquement contemporains et traduisent certainement un sentiment diffus dans l'air du temps des années 1940. Un dernier point cependant, je reprocherai à Cela son titre : pourquoi inscrire la famille en tête de ce roman alors que toute l'histoire est centrée sur Pascal Duarte ? Est-ce une façon de le déresponsabiliser ? Si un babélionaute peut répondre à cette question, je lui en serai très reconnaissant.
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