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Critique de domi_troizarsouilles


Policier choral tout à fait étonnant… et extrêmement prenant !
Comme l'indique le synopsis, on a effectivement une série de meurtres très violents, commis à la hache, qui font trembler la ville de la Nouvelle-Orléans, constamment sous un rideau de pluie qui va se transformer en tempête de type apocalyptique.
Et ainsi, à travers les yeux d'un narrateur omniscient qui se penche tour à tour au plus près de chacun des protagonistes– qui sont, pour moi, au nombre de trois, dont deux d'entre eux ont un acolyte très proche, alors que le journaliste, s'il joue un certain rôle, n'a pas la même ampleur que les trois précédents et n'arrivera jamais au bout de l'enquête.

Mais s'il est UN protagoniste à retenir, c'est la ville même de la Nouvelle-Orléans ! L'auteur la met en avant tout au long de l'histoire, comme s'il voulait faire ressentir (et il y parvient !) un profond attachement à cette ville, voire même une forme d'amour, à travers quelques phrases simples glissées çà et là dans chaque chapitre, chaque interstice où c'est possible ; ce n'est jamais « enflammé », c'est très réaliste à vrai dire, parfois même ces passages sont ornés d'un certain fatalisme qui n'altère pourtant pas le sentiment que l'auteur parvient à faire naître pour cette ville de contrastes.
Il souligne à quel point cette ville, très ghetto-isée alors que le flux d'émigrants européens ne cesse d'augmenter (on est au tout début du XXe siècle, la 1re guerre mondiale est tout juste finie) : les Irlandais et autres Siciliens (qui bien sûr ne se fréquentent pas) prennent peu à peu la place des Français, Créoles et surtout de tous les Noirs qui, tout juste libérés de plusieurs siècles d'esclavage, se retrouvent partout malvenus sauf dans leur propre quartier, mais pourtant moins diabolisés que dans bien d'autres villes du Sud des États-Unis. C'est l'époque où il est illégal pour un Blanc de se marier à une Noire ; l'époque où les trams sont ségrégationnés, où on a créé des bars et autres buvettes faites de quelques planches n'importe où car les Noirs ne sont pas admis dans ceux des Blancs ; où les bordels font travailler des « octavonnes », ces filles qui ont 1/8e de sang noir, c'est-à-dire juste assez pour paraître exotiques aux yeux de leurs clients exclusivement blancs, mais surtout pas plus car alors on les prendrait vraiment pour des Noires. Ce n'est jamais dramatisé, certes, mais rien que de réécrire ces quelques points (parmi d'autres), en réalité ça fait froid dans le dos !
Ajoutons à tous ces points assez rédhibitoires, à quel point l'auteur souligne que La Nouvelle-Orléans est une ville qui danse, qui swingue, qui bourdonne de musique avec ses fanfares (jamais traduites, on a laissé partout « brass band », je ne comprends pas trop pourquoi) présentes dans toutes les fêtes jusqu'aux enterrements ! La musique est omniprésente, et on regretterait presque qu'il n'y ait pas une playlist proposant de manière « concentrée » ces airs de jazz débutant qui sont cités tout au long des pages, et qui donnent bien envie de nous déhancher à notre tour !

C'est dans ce contexte très particulier que trois personnages tout à fait différents, et plus ou moins liés, vont tenter de mener l'enquête pour démasquer ce Tueur à la Hache. Luca D'Andrea, sicilien d'origine, ancien officier de police, vient de purger une peine de plusieurs années de prison pour corruption et autres allégeances avec la mafia locale. N'ayant plus rien à perdre, il ne peut refuser la « proposition » du n° 1 de la Main noire, de démasquer ce Tueur qui s'en prend à d'autres Italiens, qui n'auraient à priori rien à voir avec leur organisation, mais qui fait peser la menacer qu'elle soit accusée à tort… Michael Talbot de son côté, jeune officier de police (Blanc, bien entendu !), lui l'idéaliste qui est devenu la bête noire de la police à la suite d'une affaire en forme de cas de conscience, est dès lors le « candidat » idéal pour dénouer cette nouvelle affaire délicate apparemment insoluble, qui pourrait bien lui valoir sa carrière… Enfin, la jeune Ida Davis, employée d'une agence de détective, rêve de travailler sur le terrain mais reste cantonnée à un vague rôle de secrétariat, car elle est Noire (mais si pâle de peau, pourtant, qu'elle est souvent malvenue dans les quartiers noirs, à sa place nulle part) et elle est femme dans un monde encore très machiste. Accompagnée de son ami d'enfance, le jeune Lewis Amstrong en personne, alors au tout début de sa carrière (ce qui accentue encore un peu davantage « l'effet jazz » de tout ce livre !), elle va elle aussi mener l'enquête au péril de sa propre vie.

Mais ce qui est particulièrement intéressant ici, c'est que, même si ces trois protagonistes se croisent effectivement à l'une ou l'autre reprise, leurs liens restent ténus et ils ne vont jamais avoir l'occasion de (et encore moins chercher à) résoudre l'affaire ensemble. Et ainsi, ils la prennent chacun par un bout différent, que l'on suit au fil des révélations de l'auteur, et ils arrivent tous les trois à la résoudre… en proposant chacun sa solution, qui est chaque fois une autre facette – mais dès lors incomplète, et pourtant suffisante - de la vérité ! Mises toutes ensemble, elles donnent la clé (j'avais envie de dire : le tableau final de la résolution) de l'enquête au lecteur, comme un secret dont lui seul est conscient, car ces trois approches toutes différentes et pourtant toutes vraies et couronnées de succès, ne seront jamais réellement rassemblées. Cela pose la bonne vieille question qui n'a pas vraiment de réponse : « Qu'est-ce que la vérité ? » … et nous lecteur de sourire, en bonne entente avec cet auteur diabolique, car nous, on sait désormais !

Toute cette histoire est réellement portée par une écriture addictive. L'auteur s'exprime sur un ton apparemment assez neutre, et pourtant, de la même façon qu'il crée un attachement profond à la ville de la Nouvelle-Orléans, il parvient au même tour de force avec les différents personnages, qui sont tous extrêmement humains – et dès lors très attachants - avant d'être typés. On arrive à apprécier Luca l'ancien flic ripou mafioso, on a envie qu'il s'en sorte et qu'il se réconcilie avec son passé ; on apprécie peut-être plus encore Michael et ses secrets, on souhaite qu'il résolve cette enquête pour définitivement apaiser sa conscience, quel que soit le prix à payer ; et bien entendu on s'attache Ida et son sang-froid… et son acolyte si inattendu, on ne peut s'empêcher de vérifier la biographie de ce très grand musicien, dont on oublie si souvent qu'il est parti de moins que rien, du bas le plus bas de l'échelle sociale alors en vigueur dans une ville sudiste instable. Même le fameux Tueur suscite des sentiments plutôt positifs, c'est dire jusqu'à quel point l'auteur est parvenu à jouer avec les émotions du lecteur !
Bref, pour moi c'est une très grande réussite, un véritable envoûtement lié à cette ambiance multi-ethnique dense, et j'ai hâte de découvrir la suite !
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