AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de visages


La photographie de Manuel Mena trône dans la maison familiale depuis toujours. Grand-oncle de Javier Cercas, phalangiste mort au combat dont il ne reste plus aucun autre souvenir concret. Et pourtant ce fantôme poursuit l'auteur depuis longtemps.
Ce roman se lit comme un documentaire, une recherche objective sur cet homme. J.Cercas en a besoin. Il hésite, il résiste, puis céde et se lance à sa rencontre, se disant qu'il n'en écrira rien et surtout pas un livre! Mais l'évidence s'imposera, il doit l'écrire. Cette décision est l'aboutissement d'un long cheminement que nous fait partager J.Cercas car, finalement " écrire sur Manuel Mena voulait dire écrire sur moi". J.Cercas parle de lui à la 3ème personne du singulier. J'entends ce choix comme une volonté de mise à distance ( qui d'ailleurs s'étompe progressivement) ; mise à distance de l'observateur qui se veut objectif car il affirme " si j'étais un littérateur et ceci une fiction je pourrais affabuler...." mais il me semble aussi que cette distance renvoie à la honte d'appartenir à la lignée dont le héros était "du mauvais côté". Cette phrase qu'il répéte comme une litanie " je ne suis pas un littérateur" je l'ai entendue presque comme "je ne suis pas là pour m'amuser"...car le sujet est doublement sérieux. Il s'agit de la guerre et du poid familial dont il a besoin, si ce n'est de se délester, au moins d'identifier clairement ce qui en constitue la nature. Cela m'a paru aussi une rhétorique pour énoncer de multiples hypothéses et permettre au lecteur d'accéder, lui aussi, à une meilleur compréhension du contexte historique dans lequel les espagnols se sont retrouvés piégés, de nous présenter la réalité crue et terrible des champs de batailles. Mais ce parti pris de mise à distance quasi scientifique devient une auto censure car elle lui interdit les émotions (les siennes et celles qu'il pourrait prêter à Manuel Mena ) ce qui , finalement l'empêche de s'approcher réellement de son grand-oncle qui reste "flou", "une statue" puisqu'il ne parvient pas à lui donner vie. Il va pourtant , lors d'un retour à Ibahernando, s'identifier malgrè lui à ce personnage, ressentir ce qu'il a pu vivre lui même en revenant en permission dans son village, cette notion "d'étranger" voire même "d'étrangeté". Mais son enquête piétine et il panique même à l'idée que l'histoire racontée par sa mère soit peut-être totalement fausse. Cela m'a fait penser à la force de ce qu'on nomme "le roman familial" et sa confrontation au réel, quelle version est-elle la plus proche de la réalité de celui qui s'y frotte !? Pourtant, il persévère et il avance car il me semble qu'il s'inscrit dans une filiation du devoir. Est-ce un hasard s'il emploie la même phrase pour parler de son engagement à écrire cette histoire "si ce n'est pas moi, personne d'autre ne la racontera" que celle du grand père Paco qui repond à sa femme qui l'intérroge sur sa décision de partir au combat " parce que si moi je n'y vais pas, personne n'ira, Maria" et Manuel Mena plus tard qui affirme à son oncle " parce que si moi je n'y vais pas, c'est toi qui devra y aller".
C'est un très beau livre, pas toujours facile pour moi car j'ai eu du mal avec les longues scénes de batailles, les descriptions de stratégie militaires, mais la quête de l'auteur sur le passé familial, sur la transformation intérieur qui en découle et sur la relation magnifique qu'il crée avec sa mère à la fin du récit l'emporte largement sur ces longueurs.
Commenter  J’apprécie          246



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}