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Critique de Dandine


Grand texte. le texte d'un grand poete. D'un tribun. D'un prophete.



Aime Cesaire veut quitter la France, l'ecole normale, et revenir en Martinique, chez lui. Il se chasse lui-meme de France: “Va-t-en, gueule de flic, gueule de vache, va-t-en je deteste les larbins de l'ordre et les hannetons de l'esperance''. Il veut quitter ‘'l'ambiance crepusculaire'' de l'Europe et retourner a son ile, une ile revee, ‘'un fleuve de tourterelles et de trefles''. Mais ce retour est traumatique. Son ile s'avere etre l'amas de detritus, physiques et humains, qu'il avait oublie. Sa ville n'est que desolation, ses maisons puent de l'interieur, la mer qui fouette les plages n'arrive pas a les laver de leurs amas d'immondices, et les habitants, de noirs sont devenus des negres, soumis, et acceptant cette soumission comme une fatalite, comme si leur amoindrissement faisait partie d'un ordre cosmique cree par Dieu. “Au bout du petit matin, la grande nuit immobile, les etoiles plus mortes qu'un balafon creve, le bulbe teratique de la nuit, germe de nos bassesses et de nos renoncements''.



Que peut faire le poete? Il n'a que la parole, que des mots. Et on se moque de lui: que peuvent les mots? Mais face aux mots-cravaches des colons: “(les negres-sont-tous-les-memes, je-vous-le-dis / les vices-de-tous-les-vices, c'est-moi-qui-vous-le-dis / l'odeur-du-negre, ca-fait-pousser-la-canne / rappelez-vous-le-vieux-dicton: / battre-un-negre, c'est le nourrir)'', il ne perd pas confiance: ‘'Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouille de toutes les pluies, humecte de toutes les rosees. [...] Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre''.



Le poete essaira alors de faire revivre une grandeur africaine, mais il y renonce vite: ‘'Non, nous n'avons jamais ete amazones du roi de Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cents chameaux, ni docteurs a Tombouctou'', et c'est dans les nouveaux peuples des caraibes qu'il cherchera a infuser une nouvelle grandeur, une nouvelle foi en leur humanite. La filiation africaine ne suffit pas. Il lui faut reveiller ‘'ceux qui n'ont explore ni les mers ni le ciel / mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance / ceux qui n'ont connu de voyages que de deracinements / ceux qui se sont assouplis aux agenouillements''.



Mais rehumaniser le negre n'est pas deshumaniser le blanc. ‘'Donnez-moi la foi sauvage du sorcier / donnez a mes mains puissance de modeler / donnez a mon ame la trempe de l'epee/ [...] Mais les faisant, mon coeur, preservez-moi de toute haine / [...] car pour me cantonner en cette unique race / vous savez pourtant mon amour tyrannique / vous savez que ce n'est point par haine des autres races''



Le chantre de la negritude s'avere un chantre de l'humanite. Un prophete d'un nouvel humanisme. Et un enorme poete. Son ‘'Cahier'' a traverse les annees sans s'essouffler. C'est le lecteur qui risque de s'essouffler a gravir ses cimes. Il faut donc le lire et le relire pour s'habituer a l'athmosphere d'un humanisme qui defie le temps.



‘'Eia pour la joie / Eia pour l'amour / Eia pour la douleur aux pis de larmes reincarnees.''



Eia pour le grand homme! Eia pour Aime Cesaire!
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