La cohue du port m’a rappelé, en pire, celle de Nantes le jour où j’avais vu la tête de mon père exhibée près de la porte de la
ville. Les odeurs étaient épouvantables : saumure, sueur, goudron,
rebuts de toutes sortes qui encombraient
les ruelles ou flottaient dans les bassins.
Il ne s’agissait pas d’un cercueil, mais d’un coffre
de voyage de dimensions réduites. Il contenait
essentiellement des parures et des bijoux. C’était là tout ce qu’il restait aux Kergorieu comme fortune, à l’exception des cinq chevaux et de quelques épées.
- Il y a là tout ce dont j’ai besoin à présent, a déclaré maman d’une voix sourde après être restée un moment en contemplation devant le coffre ouvert.
- Gilles, j’ai quelque chose à te dire...
Ses yeux se sont refermés, ses lèvres ont frémi. La fièvre a repris
possession de lui et il n’a plus été capable de parler. Je l’ai pris dans mes bras avec l’intention de le secouer un peu, mais j’étais trop faible. Je n’ai pu que soupirer :
- Loïc!
Pas de réaction. Il s’était évanoui.
Je ne me rendais pas compte à l’époque que ces hommes, qui méprisaient la faiblesse et jouaient volontiers les matamores en se vantant de leurs
exploits guerriers, ne demandaient en fait qu’à
suivre le premier chef assez audacieux pour leur faire face et parler plus haut qu’eux.