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Critique de Miss_November


Sitka est un district de l'Alaska qui, dans l'imagination de Michael Chabon, a été cédé à la population juive dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale. Lorsque l'histoire démarre, nous sommes quelques semaines seulement avant que ledit district ne soit rétrocéder aux Etats-Unis, ne garantissant au passage à aucun de ses habitants le droit d'y demeurer à l'avenir et forçant la plupart d'entre eux à changer de pays… et de vie.

Dans cette atmosphère de « fin de cycle », l'inspecteur Landsman n'est lui non plus sûr de rien quant à l'avenir de sa place dans la police et n'a pas encore vraiment pris de dispositions pour la suite ; une situation déjà délicate, ébranlée encore par le retour de son ex-femme qui, en plus de lui rappeler le douloureux souvenir du fils qu'ils n'ont pas eu, devient sa supérieure hiérarchique. Et lui demande de boucler au plus vite les affaires non élucidées laissées en suspens par le binôme de choc que Landsman forme avec Berko, son énorme cousin à la fois juif et tlingit (l'ethnie indigène). Premier problème. le second étant que l'unique affaire tenant au coeur de l'inspecteur est celle, toute récente, du mystérieux joueur d'échec assassiné dans sa chambre d'hôtel, le même hôtel, bien sûr, que celui où Landsman lui-même habite. Ici, le problème réside dans le fait qu'il s'agit bien de la seule affaire qu'on semble s'efforcer à lui faire abandonner. Classée. Sans importance. Plus le droit d'enquêter. Et quand Landsman et Berko apprendront la véritable identité de ce joueur d'échec, il ne sera plus question de lâcher l'enquête.

Un inspecteur talentueux avec un vrai instinct de flic, ultra cynique, porté sur la bouteille et dissimulant les cicatrices encore douloureuses de son passé : pour moi, il n'y a pas plus cliché. C'est exactement ce qu'est Landsman et pourtant, Landsman est unique, Landsman ne ressemble à personne. Landsman est absolument génial. J'ai adoré ce personnage franchement torturé, avec une légère tendance à s'apitoyer sur son sort et à vouloir tout laisser tomber avant de trouver au fond de lui la force de s'y remettre, puisqu'après tout, il ne vit que pour ça. Et il ne constitue d'ailleurs pas une exception car tous les personnages sont finement travaillés, complexes, intéressants, ainsi que les liens qui les unissent les uns aux autres. On trouve là un véritable travail d'écrivain, magnifiquement bien réalisé.

J'ai aussi énormément aimé le ton employé, à la fois cynique et tendre, cru mais désopilant. L'humour s'insinue l'air de rien entre les lignes et les dialogues font mouche à tous les coups. Je dirais que l'écriture est nerveuse, rythmée, elle sait tenir en haleine et donner envie de continuer.
L'argot yiddish utilisé plonge immédiatement le lecteur dans l'ambiance et le décor, parfaitement planté, instaure d'emblée le cadre glacial et dépaysant de Sitka, mêlé de traditions juives tenaces – on s'y croirait.

Alors oui, il y a quelques petits défauts, c'est inévitable. le style m'a parfois paru un peu ardu, surtout en début de lecture (j'imagine qu'on s'y habitue) où il faut parfois s'accrocher pour suivre des phrases à rallonges, ponctuées de dizaines de virgules, qui perdent finalement un peu le sens du texte. Dans ce cas, il faut relire le passage pour être certain d'avoir bien compris qui s'adresse à qui ou qui fait quoi. On y trouve également quelques enchaînements un peu faciles, des événements qui surviennent trop opportunément et des personnages qui déboulent toujours à point nommé, comme par hasard, pour sauver la peau du héros. Mais je ne suis pas forcément impartiale et autant ce genre de petits défauts est capable de me pourrir une lecture, autant je m'en rends à peine compte s'ils ponctuent un livre que j'ai déjà décidé d'adorer.

Et puis il y a le fait, mais ceci transparait surtout vers la fin, que tous les éléments ne nous sont pas toujours donnés. Il peut arriver à Landsman de comprendre certaines choses (untel se cache chez untel, par exemple) sans que l'auteur juge bon de nous expliquer d'où lui vient cette fine intuition… Parfois, on nous décrit une scène et, en y revenant quelques dizaines ou centaines de pages plus loin, on nous parle soudain d'individus qui étaient visiblement déjà présents sans que, sur le moment, cela ait été explicité. Disons, d'une manière générale, que Chabon a une légère tendance à nous prendre pour des lecteurs absolument omniscients. Voilà pourquoi j'ai tout de même trouvé la dernière partie du livre un peu déroutante.

Sur fond de jeu d'échecs, de pseudo-miracles, de traquenards politiques et à travers l'attente désespérée de la venue du Messie, le Club des policiers yiddish est un excellent roman policier, costaud, solide et aussi savoureux qu'un lokshen kugel. C'était mon premier Chabon, mais certainement pas le dernier !
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