AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fredmarie


Il y a beaucoup de Salman Rushdie dans ce roman, le Rushdie des Versets sataniques, tant pour le message de tolérance et de révolte que par le réalisme merveilleux qui structure le texte, alternant les voyages entre l'Inde d'aujourd'hui, dix ans après le viol collectif et meurtrier de « Nirbhaya », et le monde de Sita la déesse, celui du Ramayana. (Rushdie est d'ailleurs longuement évoqué par une chronologie p.243-246). le caractère éclaté de ces allers et retours est renforcé par la dispersion des lieux et des personnages contemporains, et la remarquable diversité des types d'écriture : narration classique, extraits d'articles de presse, tweets, blogs, sms… Tout y passe ; seule manque à l'appel l'expression visuelle, à part un ou deux emoji. Une telle hétérogénéité permet de rendre compte de la complexité médiatique et socio-culturelle de l'Inde de Narendra Modi, entre misère des poètes itinérants baul et arrogante richesse de certains quartiers de Mumbai ou de Delhi. Même la narration classique donne lieu à de très courts chapitres sautant d'un personnage à l'autre, ce qui d'ailleurs fatigue un peu le lecteur à la longue – j'aurais plutôt gardé le procédé seulement pour les dernières pages, pour donner du rythme et créer une tension finale.
L'histoire : la jeune compagne de la baul, Sati, devient le medium de la déesse, Sita. Elle annonce la révolte de toutes les femmes de l'Inde, de toutes conditions sociales, de toutes castes et religions, contre un patriarcat symbolisé par le culte de Rama, qui chassa sa femme, qui mutila la pauvre Suparnakha, qui par arrogance massacra le peuple de Lanka… En parallèle, Madhu, un avocat de la ville de Sitamarhi, lieu de naissance de Sita au Bihar, se met en tête il ne sait trop pourquoi lui-même de porter plainte contre Rama – rien que cela - au nom de toutes les femmes de l'Inde : extraordinaire recours juridique déposé contre « Sri Ram d'Ayodhya, connu aussi sous le nom de Raghu, fils du Soleil, né entre -15 000 et -10 000 avant notre ère » (p.63). le personnage de Madhu est un peu falot, pas très sympathique finalement (est-ce une force ou une faiblesse du livre ?) : « d'habitude il ne se lève pas avant 8 heures pour être certain que Neenu [sa femme] s'est réveillée avant lui et lui a préparé son petit déjeuner avec les journaux du matin » (61. Cf aussi p.71). Il est rejoint dans sa lutte par une anthropologue indo-américaine, lesbienne, et d'origine musulmane de surcroît, Zulfiya. Tous deux devront affronter la Véritable Armée de Ram, entre RSS et Shiv Sena, qui travaille avec des sbires donnant dans le trafic sexuel d'enfants. Sati est capturée, mais
L'ensemble est remarquablement troussé (à part certains dialogues comme p.353). C'est un roman écrit avant tout pour des Occidentaux (Madhu pour préparer sa plaidoirie est censé découvrir sur le mythe de Sita des informations qu'en réalité presque n'importe quel Indien connait depuis l'enfance), mais il n'y a presque rien de didactique, et la variété des formes utilisées permet de transmettre habilement toute une vision kaléidoscopique de l'Inde, entre nationalisme hindou, pègre, spiritualité, statut des femmes, recettes de cuisine, littérature, pujas commandées en ligne (p.169), révoltes paysannes de 2020-21, poèmes religieux, sans parler du modèle réduit du nouveau temple d'Ayodhya (p.199) en vente sur Internet pour « Rs. 6 999 (code réduction 10 % DIWALI) ». C'est par une story d'Instagram de la fameuse Miss Fantastic qu'on apprend que dans le Travancore au 19ème siècle les femmes devaient payer une taxe pour se couvrir la poitrine, « et plus leurs seins étaient lourds, plus elles devaient payer cher ! » (p.181). On navigue entre roman policier et ode lyrique. Les dieux parlent, certaines Indiennes peuvent les entendre et voir, en 2022 comme au temps du Ramayana (p.108), et ce sont eux qui sauvent la jeune Sita du viol et de la mort : « Grognant et frémissant, Hanuman, dieu Singe, fils de Vayu le Vent, se penche vers le borgne et d'un seul geste, lui arrache les testicules » (p.396).
Un roman plein de cris, plein de détresses mais aussi d'espoir. Personnellement, vu mon expérience de la société indienne je ne crois pas trop à une telle révolte des femmes, tant elles sont segmentées en classes et castes. Mais l'énergie du livre y pousse !
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}