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Critique de Michel69004


l'enragé, c'est « La Teigne » . La pire version de lui-même, la seule version peut-être, on verra bien.
Écrit à la première personne du singulier jusqu'au bout du bout, ce récit classique, presque hugolien, nous fait rentrer dans la tête d'une racaille, une espèce de la pire engeance.
Jugez plutôt : Jules Bonneau (l'anar Jules Bonnot, son homonyme, a été liquidé en 1912…) a volé trois oeufs parce qu'il avait faim. Il a huit ans et a son premier casier judiciaire. À treize il participe à un incendie volontaire, son compte est bon. Abandonné par ses parents, confié à ses ignobles grand-parents, il est foutu. Envoyé à la colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne à Belle-île en mer, son destin est définitivement tracé.
Je connais bien cet endroit, adossé à la forteresse Vauban (hôtel de luxe aujourd'hui), et qui accueille désormais nos gentilles colonies de vacances et une auberge de…jeunesse. Car le bagne pour enfants (devenu institution publique d'éducation surveillée, c'est à dire maison de correction) n'a été fermé qu'en 1977.
Jules aura affaire à des gardiens sadiques et parfois pédophiles. Frappé avec des nerfs de boeuf, il tâtera du cachot et aura droit au terrible supplice du Grand Bal.
Mais la Teigne a une réputation d'ultra-violence qui le protège des caïds et qui le rend protecteur du petit Camille (enfermé car orphelin). Jules est en granit : « Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. »
Jules souffre de ce qu'on appelle aujourd'hui une grave pathologie du lien. Il n'aime personne. Si, peut-être un peu Loiseau (Camille), l'avenir le dira assez.

L'incroyable mutinerie du 27 août 1934 est l'apex du roman. Cinquante-six évadés, tous rattrapés, sauf Jules. Même les touristes chassent les enfants.
A partir de là, le récit rentre dans une autre dimension.
Recueilli, lui le spécialiste des cordes de bateau, aura de multiples liens à tisser.
Il faut s'arrêter là, j'aimerais tant vous raconter la suite, on est littéralement emporté par le flot tumultueux du récit.
Pas de liens, trop de liens : Ronan, le Basque, Alain, Sophie …des Saints après les Démons.
Sachez seulement que l'enragé restera un bon bout de temps à Belle-île.
Sorj Chalandon écrit un récit dont les puissances ténébreuses et lumineuses semblent s'évader de sa propre vie d'enfant.

J'ai versé ma petite larme, impossible de faire autrement.
Et puis je suis retourné au poème de Prévert qui est venu à Belle-île pour raconter, à sa façon, l'impensable:
La Chasse à l'enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment etc.

Terrible.
C'est un livre terrible mais c'est aussi une histoire d'amours, d'amitiés inaltérables et d'engagements profonds.
l'enragé ferait un beau film.
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