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Critique de magalette


J'entre par ce quatrième mur sur la scène littéraire de Sorj Chalandon. Sur la pointe des pieds, je fais le tour des personnages qui s'agitent sur la scène parisienne : Georges, l'anarchiste militant de toutes les manifestations, son ami Samuel immigré politique grec et tous leurs camarades. L'engagement est pour Georges la valeur fondamentale de son existence. Lorsqu'il se marie et devient père, il décide de s'écarter du devant de la scène de toutes les luttes politiques et sociales qui l'animaient jusqu'alors. C'est sans compter son ami Samuel. Celui qui l'épaule et qu'il admire depuis toujours est en train de mourir d'un cancer. Ne pouvant laisser son projet d'une vie inachevé, il demande l'aide de Georges qui devra le concrétiser et le mener à terme à sa place : monter l'Antigone d'Anouilh sur une scène de décombres et de larmes, celle de Beyrouth en 1982 quand les affrontements entre palestiniens, druzes, chrétiens, chiite et chaldéens font rage. Cette tragédie sera l'écho de toutes les tragédies, celle de tous les pays en guerre, celle de tous les civils pris en étau et devenus cibles des armées en présence. Elle réunira sur la ligne de front pour une seule représentation un comédien issu de chacune des armées qui s'affrontent dans ce théâtre de guerre au Liban. Contre tout sens commun, portant sa naïveté et sa colère en étendard, Georges le jeune metteur en scène s'engage à coeur et à corps perdu dans ce projet insensé. La vraie guerre, celle qui tue, qui désarme l'âme, qui met à nu le coeur et la chair de l'homme va terrasser tous les idéaux de Georges. Toutes ses certitudes vont s'embourber dans cette terre libanaise gorgée du sang des victimes de massacres perpétrés sans relâche par tous les camps. Comment rester de marbre à la lecture d'une telle oeuvre qui même si elle se réclame « de fiction » dresse les oripeaux de toutes les victimes innocentes de ces tragédies bien réelles : celles du massacre des camps de Sabra et Chatila que Sorj Chalandon a couvert en tant que journaliste au moment des faits. Impossible de ne pas entendre la voix du jeune reporter dans celle de Georges, sa sidération devant toutes ces horreurs. C'est comme si dans ce roman, au sein même de la fiction, Sorj Chalendon pouvait enfin expurger tout le mal qu'il a côtoyé alors, vomir tout le poison que la guerre lui avait fait alors avaler de force. La tragédie se déroule sous nos yeux, sans surprise, ceux qui doivent mourir, meurent, comme annoncer dans le prologue d'Anouilh. Mais de cette noirceur, le lecteur ne retient qu'une incroyable lumière, celle de la vie qui impose ses droits même dans les recoins les plus sombres du monde et telle un petit bourgeon de printemps pousse malgré tout sur un talus de décombres. Une écriture dont la puissance nous emporte tel le souffle d'une bombe explosant dans la rue à côté. J'en ressors éprouvée, pantelante mais riche d'une vérité essentielle : l'écriture donne sens, ouvre l'esprit à la réflexion profonde, fait entendre sagesse et différence. Elle est exutoire et thérapeutique. Et surtout, elle nous ramène humblement à notre place, celle d'un acteur-spectateur emporté malgré lui au sein d'un théâtre dont il ne peut maîtriser les rouages.
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