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Critique de Rodin_Marcel


Chamoiseau Patrick – "J'ai toujours aimé la nuit" – Points/Sonatine, 2017 (ISBN 978-2-7578-7075-4)
– première publication en 2013 sous le titre "Hypérion victimaire, Martiniquais épouvantable" aux éditions "La branche"

Un de ces rares romans qui allient magnifiquement la force de l'écriture avec celle des thèmes évoqués.

le thème principal ici traité est celui de la jeunesse à l'abandon, de ces adolescent-e-s d'aujourd'hui issu-e-s de différents milieux sociaux, livré-e-s sans défense et sans recours aux trafiquants de drogue, aux illusionnistes des pires médias "conviviaux", aux créateurs de ces "réalités virtuelles" et "jeux" vidéos violents déstructurant les jeunes individus rivés à leurs écrans (cf pp. 51, 134), de cette jeunesse qui ne (re)connaît plus aucune autorité ni aucune identité (cf p. 35, 80-81, 135) puisque les puissant-e-s de ce monde ont réussi à détruire les fondements même de la vie en société, au premier rang desquels la famille (cf pp. 100-103, 154, 222), de façon à atomiser les individus ainsi manipulables et façonnables au gré des "besoins" des "marchés" mondialisés.

La destruction systématique des référents représentés par les parents – et tout spécialement les pères – est ici illustrée avec une rare profondeur, et ce, jusqu'à la dernière ligne de la dernière page...

Bien évidemment, le centre de ce maelstrom est axé sur l'extrême violence engendrée par le trafic de drogue (cf pp. 48, 60, 258) – un cancer sociétal contre lequel aucun gouvernement n'a jamais entrepris quoi que ce soit, bien au contraire, on vit même en France des ministres "de gauche" et "écologistes" encourager ouvertement la consommation de cannabis, et toute la bien-pensance est actuellement en train d'imposer le "cannabis thérapeutique" en comptant bien sur l'effet domino attendu et en paralysant toutes les forces de police qui serait tentées de lutter contre ce fléau.

Ce sont là des thèmes maintes fois traités avec plus ou moins de succès par différents auteurs, depuis l'immense succès en librairie que connut en 1955 le désormais classique "Chiens perdus sans collier" de Gilbert Cesbron. Il convient de relire ce roman pour bien mesurer à quel point la délinquance juvénile n'a fait que se radicaliser et s'étendre depuis l'après guerre, là encore sans qu'aucun gouvernement ne mette en oeuvre la moindre mesure réellement efficace, et ce en toute connaissance de cause puisqu'il existe un nombre incalculable d'études de toute sorte exhibant les racines du phénomène.

Évoquer ces thèmes ne suffiraient donc pas à conférer à ce roman de Chamoiseau une mention spéciale, non, ce qui frappe dans ce texte, c'est son extra-ordinaire qualité littéraire : des personnages construits et pensés, une intrigue incisive et inexorable, des décors urbains d'une effarante justesse (cf pp. 33, 220), tout contribue à la grande efficacité du récit, mais il convient encore d'évoquer un élément tout aussi extra-ordinaire, propre à cet auteur.

Cet élément, c'est la langue ici mobilisée, observée, disséquée. A l'heure où les sbires et freluquets à la Macron étalent leur arrogance en cultivant l'entre-soi du sabir franglisch ou du globish, Chamoiseau embellit, enrichit notre langue française des apports créoles, antillais, urbains.
Mieux encore, en quelques scènes magistrales, il montre comment cette jeunesse est littéralement ravagée par son manque d'outil de communication (eh oui, à l'heure des soi-disant réseaux sociaux conviviaux), que ce soit dans le vêtement (cf pp. 96, 130), dans la gestuelle (cf pp. 155, 171) ou par la langue utilisée, une langue en ruine, en lambeaux (cf pp. 116—118).

Un roman exceptionnel, à lire, à relire, à offrir...
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