Citations sur Tous nos rêves ordinaires (12)
Elle, elle voulait être différente, elle voulait s'arracher et le gagner, son ticket pour une vie meilleure.
- Tu sais, ton père, s'il fait ça, c'est parce c'est un putain de lâche.
- Ah ouais? J'ai pas tellement l'impression que c'est lui qui flippe.
- Il supporte pas que tu grandisses. Notre corps, à nous les femmes, c'est une arme. Réfléchis. On baise sans faire de gosses, on taffe et on gère nos thunes... Les mecs, on les emmerde.
- Ouais, mais ça marche que pour certaines femmes qui ont de la chance. En fait, ça dépend de ta famille. Et d'où tu vis. Y a des endroits, tu t'en échappes pas.
Cy observe Romane, doute, et l'immensité de ce qu'il ne sait pas le sidère.
C'est que Cy, il capte maintenant que Chloé est une flle, en fait, il le savait déjà, du moins en théorie, mais là, Chloé avec ses grands yeux, ses cheveux noirs, elle ressemble un peu à Uma Thurman dans Pulp Fiction. Tes jolie, il lâche. Chloé croit mourir, dans sa tête, Merde non, t'as pas le droit, ça fait des années que j'attends ça, t'as pas le droit, pas ce soir.
Chloé, les yeux gonflés de cernes violets. C'est le chagrin débordé des paupières.Sur les docks, le fleuve ondoie argenté, on dit que c'est à cause de l'usine cramée, des particules d'amiante tombées dedans. Assise sur un banc, Chloé lit Verlaine. Cette nuit. à force de renifler dans son oreiller, elle s'est juré, avec Cyrus, faut prendre ses distances. Ceur barbelé. Marre de souffrir. Entre les pages de son livre, elle éparpille les regrets.
Dans la rue, ça pétarade. Scooter à l'approche. Le gars qui conduit, c'est un blond à casquette Nike et boutons d'acné sur les pommettes. Les filles, il les a repérées de loin. Lorsqu'il passe devant elles, il ralentit, crache dans le caniveau. Puis coup d'accélérateur, vroum vroum, gerbe de gravillons. Romane, une grimace. Elle se rappelle les oiseaux, elle a vu un documentaire à la télévision, eux déposent des brindilles devant la femelle avec qui ils veulent s'accoupler. OK, elle pense, nous on a le droit aux crachats, trop classe.
Romane Fauvel et Lola Chaumanet, main dans la main, comme d'hab.
Sur leurs rollers quad, elles sillonnent le lotissement, c'est pareil tous les aprèms, elles font ça en minishorts et ça ne les gêne pas, qu'on voie les cuisses, l'arrière des genoux pâle, la naissance des fesses. Romane et Lola, on dirait des filles papillons, et leurs rires qui virevoltent, ça vrille la torpeur de l'après-midi. Sur leur passage, on accroche des regards, ils palpitent à travers une fenêtre, le pare-brise d'une Renault Mégane, par-dessus une haie.
A travers les visages, les sourires qu'on punaise, les expressions toutes faites qu'on répète On n'a qu'une vie C'est maintenant ou jamais, elle les devine, les doutes, les failles, les espoirs, les rêves, qu'on planque sous une façade. Si ça se trouve, peut-être qu'ils ne sont pas si différents, eux et elle.
Cy, immobile, il se noie et la nuit l'engloutit. Merde, c'est comment déjà qu'on respire? Il ferme les paupières, ne peut plus les rouvrir, Romane, tu crois que le chagrin, ça soude les cils ? Romane reprend, C'est pour ça, Nous, j'ai pas le choix, je suis désolée, sans doute qu'on aurait, c'est juste que, pas maintenant. Cy, il entend tout et ne comprend rien. Au-dedans, ça implose, façon galaxie, big bang à l'envers, les étoiles poussière.
Lola, elle plane haut loin, au milieu des étoiles. C'est pour ça qu'elle ne réagit pas quand les doigts de Paul frôlent sa cuisse Ils ont dû déraper sur le levier de vitesse chuter du volant et atterrir sous sa robe par hasard Ça arrive, elle se dit Quand même, elle détourne le regard Par la fenêtre, le paysage défile Le centre-ville, les lotissements, la ZAC, les ronds- points Lola s'accroche à la ligne d'horizon Paul roule, comme si de rien et les doigts deviennent une paume entière