AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


De toutes les maîtresses de Louis XIV, Madame de Maintenon est celle pour laquelle j'ai le moins de sympathie. Je lui préfère Louise de la Vallière, timide héroïne dumasienne, trop douce et trop fleur bleue pour une cour aussi brillante que cruelle. Je lui préfère également la marquise de Montespan. Une peste celle-ci, mais quelle charisme et quel esprit! La Maintenon? Ouais, bof... Trop austère. Trop dévote. Pas assez flamboyante ni même assez vivante.
Néanmoins, je dois bien admettre que Françoise d'Aubigné demeure un personnage fort intéressant, que sa vie fut un véritable roman qui suscite à juste titre bien de la curiosité, voire de la fascination. C'est, entre autre, à cet égard que je m'étais toujours promis que je lirai un jour "L'Allée du Roi", publiée en 1981 par Françoise Chandernagor. Et puis, de toutes façons, moi, dès qu'il s'agit du Grand Siècle, je finis toujours par succomber...

En ce qui concerne l'Allée du Roi, je n'étais pas complètement novice: j'étais certes un peu jeune en 1995 lorsque le film réalisé par Nina Companez fut diffusé à la télévision mais mes parents eurent la bonne idée de l'enregistrer sur une cassette vidéo (je me sens si vieille, là, d'un coup!) et alors que pré-adolescente je me délectais des romans jeunesse d'Annie Jay ou qu'adolescente je me délectais du Vicomte de Bragelonne, je me pris aussi de passion pour le film. Que voulez-vous, tout comme j'eus -mais un peu plus tard- ma période "Derniers Valois et guerres de religion", j'eus ma période "Louis XIV et Versailles". Oui, je suis du genre obsessionnelle. Toujours est-il, donc, que j'avais pour résolution de lire un jour le roman qui inspira le film. Comme souvent, je n'ai jamais trouvé le bon moment… jusqu'à la semaine dernière où j'ai entrepris de me plonger dans les mémoires fictives de la deuxième épouse du roi soleil (quand même!).

L'ouvrage se présente en effet comme les mémoires rédigées par Madame de Maintenon au crépuscule de sa vie. Biographie romancée, "L'Allée du Roi" entreprend de faire revivre pour ses lecteurs l'incroyable destin de cette femme que rien ne prédestinait à monter si haut: ni sa naissance dans une sordide prison de Niort, ni son ascendance protestante (elle était tout de même la petite fille d'Agrippa d'Aubigné), pas plus que ses années passées aux Antilles dans la presque misère ou encore son mariage avec Scarron, poète à la silhouette bien plus que contrefaite et dont l'histoire littéraire garde en mémoire "Le Roman Comique" et sa verve insolente.
Et pourtant, celle que le Marais surnommait "La Belle Indienne" finira bel et bien par approcher le soleil, qui ne la brûlera pas comme tant d'autres avant elle mais qui lui passera la bague au doigts. Pour une orpheline doublée d'une veuve sans le sou, quelle revanche sur le destin! Et tant pis si, après tout, la fin du conte apprend l'ennui à son héroïne; si elle en fait la victime des cabales qui s'ourdissent dans les méandres de Versailles. Il lui restera toujours Saint-Cyr, la foi et -il faut bien le dire- l'orgueil aussi.

Françoise Chandernagor a réussi un ouvrage virtuose et passionnant qui marie et manie à merveille l'érudition de la rigueur historique à la faconde romanesque.
Ainsi qu'elle l'indique dans son avant-propos et dans les nombreuses notes qui clôturent le livre, elle a souhaité que sa Françoise de Maintenon soit aussi proche que possible de son modèle. Pour se faire, elle s'est donc appuyée sur une documentation précise, rigoureuse, à commencer par l'impressionnante correspondance de la veuve Scarron dont elle a repris parfois les récits et les tournures. Quant à ce que l'épistolière ne dit pas, l'auteur l'a inventé en veillant à la cohérence de ses créations, par rapport à L Histoire, aux sources, à son sujet. Les zones d'ombres qui perdurent dans la trajectoire de Madame de Maintenon sont ainsi éclairées par le biais de la création littéraire, mais elles pourraient bien s'être déroulées comme c'est ici écrit.
L'idée de faire écrire Françoise, l'idée de ce "je" est, de mon point de vue, extrêmement pertinente. D'une part, le roman tend à l'exhaustivité quant à la vie de son personnage et l'écrire à la 3°personne l'aurait rendu fastidieux, à mi-chemin entre la fiction et la biographie historique. Il est des mélanges qui sont de véritables hérésies en littérature. Ensuite, cette première personne qui donne la voix à Madame de Maintenon nous offre un angle, un regard inédit sur les années qu'elle traversa en plus de nous rapprocher d'elle, de nous la rendre... proche. Proche, oui. Je n'irai pas jusqu'à "attachante" car même après cette lecture, je continue de la trouver bien trop austère, quoique rendue assez sympathique par l'humour pince-sans-rire dont elle fait preuve assez souvent, par un je ne sais quoi d'un peu cynique aussi.
Enfin, pour parachever ce billet, je voudrais louer le style et l'écriture de Françoise Chandernagor qui a voulu pousser la cohérence jusqu'à produire un texte qui fleure bon le Grand Siècle et la langue classique. Là où ce genre de pari est parfois un ratage complet, qui sonne aussi faux qu'une balade auto-tunée à outrance, c'est ici pleinement maîtrisé et d'une très, très grande beauté.

Mémoires, roman. Beau portrait de femme et de tout un pan de l'Histoire, "l'Allée du Roi" est un ouvrage exigent et passionnant, un aller-simple pour les salons du Marais et les jardins de Versailles. Un voyage dans le temps à savourer.
Commenter  J’apprécie          263



Ont apprécié cette critique (24)voir plus




{* *}