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Critique de Zebra


Grand classique du roman historique, « L'allée du Roi » est une biographie romancée de l'histoire personnelle de Mme de Maintenon. Publié en 1981, cet ouvrage de Françoise Chandernagor vous plonge au coeur de la Cour du Roi Soleil : faste, plaisirs, coutumes, traits d'esprit, indiscrétions, rivalités, jeux, misères, complots, drames et guerres se succèdent au fil des pages et des années. L'auteure a pris le parti d'entrer dans la peau de Mme de Maintenon, l'une des femmes les plus célèbres du XVIIe siècle. Courageuse, persévérante et dotée d'un incroyable instinct de survie politique, cette femme qui sut ravir le coeur de Louis XIV, imposer sa présence et son style si particulier à la Cour, prend donc sa plume et raconte, au soir de sa vie, ce que fut son existence pendant quarante ans, avant d'être Reine de France, puis aux côtés du Roi. Au moment où elle écrit, Mme de Maintenon, Reine de France, a 77 ans. Elle se raconte avec sensibilité et beaucoup de naturel, écrivant ses mémoires dans le style littéraire ampoulé de l'époque, ce qui accentue l'authenticité du récit. Avec « L'allée du Roi », Françoise Chandernagor vous fait également entrer dans le contexte politique, religieux et social de l'époque. L'ouvrage est dense (631 pages) et sa lecture reste agréable, malgré quelques longueurs, car ce texte -qui est le résultat d'un incroyable travail de recherche - nous fait partager l'intimité d'une Mme de Maintenon bien vivante, évoluant dans un cadre historique fidèlement restitué.

Jugez-en plutôt ! Les moniales glissaient dans les couloirs du couvent avec leurs longues robes d'étamine (page 18). Les bonnes soeurs préféraient les gredines qui payaient bien aux belles âmes qu'il fallait sauver gratis (page 70). Épuisé de misères et de pillages, le peuple vivait de racines et se livrait parfois à ces actes d'anthropophagie (page 91). Un habitant sur deux ne survivait plus que par l'aumône des pains d'avoine (page 22) et de seigle (page 23). La famille ne survivait que par les distributions de « blé du Roi », lesquelles ne se faisaient que certains jours au Louvre (page 180). On trouvait dans le royaume quantité de nobles sans le sou (page 431). Des veuves d'officiers morts pour le Roi restaient sans pistole pour nourrir leurs enfants (page 431). Deux souliers coutaient le prix d'un mouton (page 31). Dans les campagnes, les paysans étaient ruinés par la guerre et l'impôt (page 489) ; le défaut d'instruction des gens était patent, eux qui ne savaient ni A ni B et qui n'entendaient souvent rien à leur catéchisme (page 323). A la Cour du Roi, les jeux de l'enfance abondaient : cligne-musette, colin-maillard, la mouche, les barres, les quilles, les osselets et les jonchets (page 63). Les portraits étaient le genre à la mode (page 101) et pour « tenir salon », il convenait de rassembler des gens d'épée et de robe, aussi bien que des hommes de plume (page 103). Il y avait une certaine distance entre les marquises et les duchesses (page 195) mais le commérage faisait l'essentiel des conversations (page 302). Lors des fêtes galantes, souvent assorties de loteries (page 464), les courtisanes avançaient le visage masqué de velours noir pour éviter le hâle et pour ne pas être reconnues (page 109). Il se faisait un usage immodéré des liqueurs, même chez les duchesses de quinze ans (page 385). Un regard, un mot du Roi, un sourire fournissaient la conversation pour la semaine, voire le mois (page 264). le Roi avait une vive passion pour la musique et jouait de la guitare comme un maitre (page 275). le protocole du Roi s'imposait à toutes et à tous (page 288). Une dame de qualité se devait d'avoir un directeur (de conscience) et un cocher (page 214). Les bâtiments de certains châteaux étaient une véritable horreur (page 265). En fait de déplacements en carrosse, la poussière dévorait tout ce qui se trouvait à l'intérieur (page 252). Il y avait des poursuites contre les faux nobles (page 205) et l'homosexualité était punie du bucher (page 128). Dans l'appartement de la Reine, l'odeur de l'ail le disputait au parfum du chocolat (page 318). Manger des petits pois, voilà quelque chose qui fut à la mode (page 530). Mme de Montespan buvait des pintes de vinaigre pour se faire maigrir (page 300) : pas dévote, pas bonne, capricieuse, extravagante et débauchée (page 317), elle réclama l'absolution, ce que lui refusa l'Église (page 322). le Roi finit par règlementer la vente des poisons (page 394) et entreprit des persécutions contre les huguenots, les obligeant à se convertir par milliers (page 400). le Roi avait fondé une Caisse des Conversions qui donnait de l'argent à chaque nouveau converti (page 447). En 1708, la glace prit les fleuves et la mer, puis se fut la disette : le pain vint cruellement à manquer (page 569). le Roi Soleil portait (pourtant) un habit d'étoffe or et noir, brodé de douze millions cinq cent mille livres de diamants. Joli contraste, ne trouvez-vous pas ?

Mais l'ouvrage donne également l'occasion d'entrer dans la personnalité de Mme de Maintenon. Elle a grandi dans la ferme de Mursay, parlant le poitevin, sa langue maternelle (page 27). Sa mère avait un esprit solide, une obstination surprenante et un courage peu commun (page 36). Mme de Maintenon affectionnait l'écriture et adorait les enfants qui venaient la voir, comme une souris grise qui aurait pénétré dans sa chambre (page 18). Elle regrettait que son père ait condamné sa mère à la ruine et qu'elle ait du se mettre à l'aumône dans un couvent (page 39). Sa tante était une sainte fée : elle retrouvait en elle le gout de vivre et la force d'aimer (page 63). A seize ans, Mme de Maintenon avait déjà le souci de sa gloire et de sa réputation (page 83). Elle était fière d'être demoiselle (page 38). Elle recevait trois ou quatre fois la semaine le petit abbé de Boisrobert (lequel venait avec un ou deux petits laquais qui le servaient en tout et lui servaient de tout !). Triste et farouche dans la solitude, elle devenait enjouée et bavarde dès qu'elle était en compagnie (page 101). Ses oeillades et ses charmes faisaient dans le Marais plus de blessés que toutes les campagnes de Flandre (page 110). Elle était une aguicheuse et fière de l'être (page 120) mais ce n'était que coquetterie sans suites (page 128). Être aimée du monde lui était devenu une seconde nature (page 141) mais elle voulait également de l'honneur et de la gloire (page 142). Les images pieuses et les reliques étaient à ses yeux un reste de calvinisme propre à séduire les païens (page 168). La politique n'était pas son fort (page 451) parce qu'elle ne goutait pas ce qui était périlleux (page 186), et parce qu'elle avait avant tout un fort besoin d'être aimée et louangée (page 208). A la Cour, elle comprit que le secret de la conversation c'était de paraitre écouter l'autre avec plaisir, les gens étant unis par une longue complicité d'habitudes et de services rendus (page 380). Vers la fin de sa vie, devenue bigote, Mme de Maintenon, la Reine, voit son existence personnelle mise en danger à cause d'une sombre affaire de « quiétisme » : heureusement, le Roi intervient et le quiétisme est balayé (page 513). Vieillissant, le Roi n'est plus à ses yeux qu'un tyran (page 593) et elle rame pour amuser un homme envers lequel elle n'éprouve plus que du désamour. le Roi s'éteint et meurt. Mme de Maintenon s'efface et entre dans l'Histoire.

Au final, un magnifique travail d'historienne et un vrai tour de force littéraire ! le lecteur y trouvera son compte : il s'instruira sur la vie de Mme de Maintenon comme sur le contexte dans lequel elle évoluait et il pourra apprécier les qualités d'écriture de l'auteure. Françoise Chandernagor a fait un superbe travail d'enquêteur ; elle a fait un travail complet sur les faits, cherché à connaitre et à nous faire partager « le dessous des cartes » ; elle a comblé les « blancs » de l'Histoire en les reconstituant avec le souci d'une certaine objectivité et elle a fait l'effort d'écrire dans le style « Grand Siècle », accentuant ainsi l'authenticité du récit.
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