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Critique de beatriceferon


Tandis que Rabelais est en train de mûrir son Tiers Livre, Justus, son fils spirituel se retranche à la Marelle, le domaine de tante Eulalie, une femme sage et avisée qui cultive les simples et sait se faire respecter de tous. Il va transformer une bâtisse moyenâgeuse en vraie habitation Renaissance en taillant de grandes baies lumineuses. C'est là qu'il va rencontrer la mystérieuse demoiselle Blanche Briler qui a fui le redoutable Puits Herbault, le seigneur imbu de sa puissance et opposé aux idées nouvelles.
Valérie de Changy arrive à mêler habilement les recherches historiques qui font revivre pour les lecteurs la belle période de l'Humanisme et l'action, les rebondissements, voire les histoires d'amour. On découvre, à travers ce roman, la vie et l'oeuvre du grand érudit que fut Rabelais, ainsi que les coutumes de son époque, parfois surprenantes.
Les guerres de religions apparaissent en toile de fond, l'écrivain y faisant allusion de manière détournée, soulignant ici les dangers de l'intolérance, là les bûchers réservés aux livres et à quelques uns de leurs auteurs, ou mentionnant la célèbre affaire des Placards.
Elle montre bien à quel point est grand le pouvoir de la connaissance et la peur de l'Église face à celle-ci, car il est bien plus facile de manipuler les ignorants (Puits Herbault manipule aisément Louis, mais n'arrive pas à tromper Justus). Elle fait allusion à la Vulgate de Saint Jérôme, seule traduction acceptée par le pouvoir religieux, mais Monseigneur d'Estissac met Rabelais en garde contre les traductions plus récentes auxquelles il a recours et qui permettent de développer un esprit critique évidemment mal vu par le pouvoir religieux.
Le rôle de la femme est bien mis en lumière. Dans une société basée sur la transmission des biens et du nom, il est important d'avoir la mainmise sur les femmes, puisqu'elles seules savent qui est le père de leurs enfants. Leur laisser une liberté équivaut pour le « maître » à risquer de transmettre son patrimoine à un « bâtard »: « l'homme est sûr de tout ce qu'il possède: tous ses biens, il peut les compter. Mais il y a une chose qui lui échappera toujours, c'est sa femme. Jamais il ne sera tout à fait sûr qu'elle ne soit qu'à lui. » (page 171)
Aussi, tout comme à côté du grand François Ier il y a sa soeur, Marguerite de Navarre, protectrice du savoir et des érudits, à côté de Rabelais, il y a Eulalie, dont le nom signifie « qui parle bien », donc juste, elle est sage, et à côté de Justus, il y a Blanche (la pure) qui préfère le commerce des arts (sa mandoline, la calligraphie) et des Lettres (elle lit beaucoup et réfléchit à ce qu'elle a lu) à celui des hommes. Elle ne se laisse pas dominer par eux: elle a su résister à Puits Herbault et elle est la seule à pouvoir dompter le farouche étalon Andante. Elle est capable de raisonner de façon pragmatique: c'est elle qui a conçu la besace dont Justus avait besoin, mais sans arriver à la réaliser lui-même.
La force du paraître est aussi évoquée, comme pour Puits Herbault qui, sous des dehors avenants et bien nets cache la noirceur de son âme, ou comme pour Mathurin qui, parce qu'il répète comme un perroquet, des passages bien obscurs de livres qu'il n'a pas bien compris, passe pour un savant aux yeux des simples consommateurs de l'auberge. Mais Mathurin n'est pas un esprit obtus. Il est capable de se remettre en question. Il a observé Rabelais et a changé sa façon de voir. Il a compris que ce n'est pas parce que des « autorités » lui ont appris les choses d'une certaine manière, qu'elles sont forcément justes et qu'on ne doit rien y changer. Il a su remettre en question le fameux « argument d'autorité » qui a fait (et fait toujours) tant de ravages!
La médecine de l'époque est également bien abordée dans le roman, avec l'opposition entre le médecin qui enseigne, mais ne pratique pas, et le chirurgien qui est le seul habilité à toucher le malade sans avoir les connaissances nécessaires. L'expérience est la seule à pouvoir faire progresser les choses. Rabelais se risque à utiliser le « glottocomon » (comme plus tard Pasteur se risquera à vacciner l'enfant mordu par un animal enragé), mais il ne peut pas être sûr du résultat.
La filiation, elle aussi, est importante. On n'est pas seulement le fils ou la fille de quelqu'un parce que celui-ci est un géniteur. L'amour et la transmission du savoir et des valeurs sont bien plus importants: « en instruisant ce garçon, chaque jour, j'apprends de nouvelles choses. Bien sûr, ce qu'il deviendra, je ne le sais pas. Cela m'échappe. Ne pas rêver pour lui d'un devenir selon mes propres valeurs! C'est peut-être ainsi que l'on aime vraiment! » (page 46) Et c'est le plus difficile: enseigner, mais sans obliger le disciple à devenir ce qu'on aurait voulu être ou ce qu'on voudrait qu'il soit. Arriver à le laisser libre de faire ses propres choix et lui transmettre le bagage qui lui permettra de les faire. « Il songea à ce qu'avait été pour lui l'éducation de Justus: l'émerveillement de voir une silhouette pétrie de ses mains, une parole chargée de ses mots, une connaissance nourrie de ses livres, prendre vie. » (page 287)
Enfin, il, est agréable de reconnaître, au fil de la lecture, des personnages qui ont vraiment existé: le cardinal Jean du Bellay, Geoffroy d'Estissac, l'imprimeur Aldo Manuce, Erasme, Luther, Calvin, ou tirés de l'oeuvre de Rabelais: Pichrocole, Frère Jean des Entommeures, Panurge, avec leurs modèles dans la réalité.
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