Des journalistes hollandais nous ont rejoints à bord du train. Très courtois, la plupart parlent anglais, ce qui facilite les interviews. L'un d'eux m'annonce qu'un pont est en construction à Rotterdam, sur lequel doit être érigée une statue à mon effigie. Ma réponse est de plus banales :
- Ah, vraiment ? C'est merveilleux ! lui dis-je en tentant de ne pas laisser transparaître mon excitation.
Mais à la gare suivante, je descends du train pour faire un tour. Mon manager me rejoint.
-Tu sais que les Hollandais vont ériger ta statue sur l'un des ponts de Rotterdam ? s'exclame-t-il, enthousiaste.
-Ce que j'ai compris, dis-je d'un air détaché.
Feignant la plus grande sérénité, je continue d'aller et venir sur le quai, mais je finis par me ruer vers le bureau de télégraphe pour câbler la nouvelle à mon frère.
Paris ! Apparition de la foule, intervention des gendarmes, étreinte de Cami, rupture des cordons de sécurité, reflux de la foule, course à la limousine, claquement de portières, protestations des photographes, manifestation de la police, coups de klaxons, changement de vitesse, et nous voilà partis !
Je m'assieds au fond de l'auto avec un soupir de soulagement. Cami me parle, mais je suis trop fatigué pour l'écouter. Mes nerfs sont à vif une fois encore. Je découvre que son anglais est aussi bon que mon français, c'est dire... Mais nous nous en sortons parfaitement bien grâce à la pantomime.
J'étais quasi inconnu à Berlin lors de mon premier voyage en 1921 : très peu de mes films y avaient été projetés pendant la guerre. Mais aujourd'hui les choses sont différentes. On m'a prévenu que j'y ai du succès et qu'il fallait donc m'attendre à un accueil extrêmement chaleureux.
On peut se permettre d’être soit même quand on a du succes.
Un message m'attend à mon arrivée à Rome, m'annonçant la possibilité d'une entrevue avec Mussolini. Elle n'a finalement pas lieu, car je ne passe que deux jours dans la capitale, délais trop court pour qu'Il Duce m'accorde de son temps précieux.
Rencontrer autant de nouvelles personnes éminentes en si peu de temps me trouble et m'excite en même temps, mais m'empêche de m'imprégner de leur tempérament. Plus que l'impression qu'ils me font, je dois avouer modestement - ou immodestement en vérité - que je suis davantage préoccupé par la bonne impression que je souhaite leur faire. La philosophie de l'acteur en a toujours été ainsi...
Je suis assailli par toutes sortes de demandes et d'invitations : les lettre s'amoncellent. Je dois changer de lieu, au risque sinon de mettre en danger mes relations avec les gens. personne ne peut trouver le temps de voir tous ses amis et, comme je suis incapable de faire des projets à trop long terme, il ne me reste qu'une solution si je ne veux offenser personne : faire mes bagages et partir.
L'amour et les gens me lassent et comme tous les égocentriques, je me replie sur moi-même.