Maintenant je me rappelais. La guerre… les bombardements allemands… les raids-éclair… bombes et tirs de la D.C. A… Cependant rien de tout cela ne me paraissait bien réel. C’était comme quelque chose qu’on aurait lu, sans l’avoir jamais éprouvé soi-même. Donc, la nuit dernière j’avais été dans un bombardement, et probablement pour la première fois.
La mort n’était qu’une porte pour m’évader. C’était la Peur, ce démon, qui était mon ennemie mortelle. Si je pouvais lui échapper, je serais libre. Cette pensée seule hantait mon cerveau.
Je m’étais toujours imaginé que les infirmières des hôpitaux étaient brusques et péremptoires, ne cédant pas facilement aux caprices des malades. Alors pourquoi celle-ci était-elle si gentille et si aimable… comme si elle m’aimait bien ? Comme si elle était sincèrement contente que je n’aie pas été blessée ?
Il fallait que je me souvienne de mon nom. C’était absurde de ne pas le connaître. Je pouvais être contente d’oublier tout le reste, mais je ne pouvais commencer une vie nouvelle sans posséder un nom. Fiévreusement, j’essayais d’extorquer quelque chose à ma mémoire. C’était comme un effort physique, comme si je tirais sur un loquet rouillé et récalcitrant. Et, subitement, le loquet céda un tout petit peu.
Maintenant je suis libre, j’ai échappé à la terreur qui m’avait fait préférer la mort à la vie, si la mort était le seul moyen d’évasion. Je ne peux même plus me rappeler quelle était cette terreur. C’est pourquoi je me sens si légère, prête à danser et à chanter, comme Chrétien, lorsque le fardeau qui l’écrasait était tombé.