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Critique de mumuboc


Deux couples, deux époques et une même passion : la danse et plus précisément le flamenco qui résonne pour chacun des couples avec des accents de luttes, celles de la haine des juifs ou des roms. Fuir et danser, malgré tout, sans pour autant oublier et accepter, alors se battre, combattre au risque de se perdre.

Début du XXème siècle : les jumeaux, Silvin et Maria Rubinstein, nés de l'amour d'une danseuse d'opéra juive et d'un aristocrate russe .vont être contraints à l'exil par la révolution bolchévique. Ils ont en eux les gênes de leurs parents : la passion de la danse et  la fidélité. Ils deviendront célèbres par le duo de flamenco qu'ils forment sous l'identité de Imperio et Dolores, s'unissant pour se fondre l'un dans l'autre jusqu'à ne devenir plus qu'un.

2017 - Lukas s'interroge sur son identité et la rencontre lors de manifestations anti-mondialistes avec Iva, une rom contrainte à la fuite de Hongrie pour ses origines, va bouleverser leurs existences. Ils ont la danse dans la peau, dans leurs corps et leurs âmes et Iva, la plus expérimentée, va initier puis former avec Luka un duo immortalisé par un photographe sur la pellicule et devenir, sans qu'ils le sachent , le symbole de la grâce et de la résistance de toute une génération.

Deux parcours, deux itinéraires qui se répondent l'un l'autre pour finir par se rejoindre, l'un pris dans les méandres de la deuxième guerre mondiale inspiré de l'histoire de Silvin Rubinstein, qui a réellement existé, danseur et résistant très actif dans l'Allemagne nazie, jouant de son physique androgyne parfois, et Lukas et Iva, personnages imaginaires, dont l'image et le parcours se fondent dans celui d'Imperio et Dolores, le couple iconique, par l'exigence de leur danse mais également par la grâce qu'ils dégagent, l'ambiguïté de leurs physiques mais aussi les combats menés. Elle le feu, lui le trouble. Ils vont se lancer dans un road-trip à travers l'Europe, poussés par la volonté de se produire sur scènes mais également d'apprendre toutes les subtilités du flamenco et du duende :

"Cette fille a le duende, constate Lukas, fasciné. Ce pouvoir à l'essence même du flamenco andalou, sur lequel personne n'est capable de mettre de mots ; cette mystique du corps plongeant dans les concrétions de l'existence, brûlant et douce, puisant dans la douleur pour créer le sublime car le duende ne s'épanouit que lorsque la vie rencontre la mort, à l'endroit précis où les deux entrent en lutte. (...) le duende blesse et fait surgir la beauté des chairs, celles des saltimbanques, des poètes et des danseurs de flamenco. Il est un trésor unique, plus rare que le silence vrai.(p35)"

Mais au-delà du flamenco il est question également de fuites, de luttes, celles contre la répression ou l'exclusion qu'elles soient anciennes ou actuelles. Les époques changent mais les rejets demeurent et Marie Charrel, en mettant en parallèle les parcours des deux couples, démontre que, quelle que soit l'époque, la haine des autres et l'ignorance demeurent ainsi que la recherche de l'excellence dans un art exigeant de maîtrise : le flamenco. Et puis il y a l'ambivalence, l'appartenance à un sexe ou à un autre, la difficulté de se situer, de savoir qui l'on est vraiment et en jouer pour atteindre le but ultime ou pour continuer à faire vivre l'autre.

J'aime quand la littérature permet de découvrir des personnages singuliers ou des thèmes, peu connus mais également utilise en toile de fond un art pour les mettre sur le devant de la scène. En utilisant le parallèle entre passé et présent pour mettre en évidence les similitudes mais aussi aborder des sujets plus profonds comme la haine ou l'absence de l'autre, l'auteure nous entraîne dans une aventure aux multiples facettes et rebondissements. Dans ces deux voyages dans le temps et à travers le monde, Marie Charrel démontre, à travers ses personnages, que l'envie d'absolu, que ce soit dans leur passion artistique mais également dans la résistance à l'obscurantisme et la fidélité aux racines, reste le même, quel que soit l'adversaire, déclaré ou non.

Je connaissais peu de chose du flamenco, une danse très expressive, possédant ses codes et une intériorité forte, et Marie Charrel parvient à en restituer toute l'essence avec une écriture à la fois visuelle mais aussi chargée de sens, faisant de l'histoire de ces deux couples l'image de l'exigence, de la fierté, de la mémoire et des combats. Je me suis beaucoup attachée au personnage ambigu et aux multiples facettes de Silvin Rubinstein, à ses luttes, à son attachement à sa jumelle, allant jusqu'à se fondre en elle pour lui redonner vie, à se jouer et à défier les nazis, avec le soutien d'un officier allemand, Kurt Werner, même si un homme gris laissera dans sa chair une empreinte indélébile.

Il y a de la grâce, de l'aventure, de la révolte et l'on est pris dans un tourbillon, dans une danse où se mêlent sueur, exigence, voyage, liens du sang et d'amitié mettant dans la lumière un art qui peut guérir ou apaiser les blessures ou les faire jaillir. Une mention particulière pour la très belle photo de couverture très représentative de la recherche de perfection.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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