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Critique de Erik35


LA CRISE : ET SI ON EN PARLAIT ?

En 45 pages d'un petit opuscule publié par les excellentes éditions Allia, et pour une somme fort modique, Éric Chauvier nous invite à réfléchir sur notre consommation d'informations et l'angoisse de l'être ordinaire qui y est confronté. "La crise commence finit là où commence le langage" est second volet du dyptique entamé avec "Que du bonheur", et qui part à peu près du même postulat : le langage, surtout dans ses formules anodines, est un traître qui vous prépare à l'asservissement. Comme précédemment, Éric Chauvier part d'un fait sans importance : une conversation commerciale au téléphone entre lui et une de ces voix aux formules toutes faites. Après avoir disséqué la part de consensus de part et d'autre que constitue ce type de dialogue, il va assez profond dans la tentative d'explication du profond malaise qu'il suscite en lui. S'appuyant sur Wittgenstein surtout, Cavell un peu moins, il creuse, revient sans cesse sur ces quelques lignes banales, pour en arriver à un constat devant lequel on le sent terrifié : ces échanges commerciaux ne seraient qu'une torture, consentie de part et d'autre, en vue de préparer l'acceptation de la misère sociale. En épuisant les mots, en vidant le langage de sa force, en nous faisant accepter que les échanges verbaux n'aient plus de sens, on nous prépare à dire amen aux formules acceptées par tous, et notamment toutes celles sans cesse délivrées sur la crise actuelle. Une démonstration dense et parfois ardue que l'auteur, par ailleurs anthropologue, a le bon goût de rendre précise et rapide, condensant ses concepts philosophiques pointus en quelques pages assez enlevées.
Le vivre ensemble reposerait ainsi désormais sur une technique oratoire de l'urgence susceptible d'être réitérée de façon illimitée. Claude Lévi-Strauss disait : « La crise est bonne à penser », ce que l'universitaire ne nie pas forcément mais dont il estime qu'il reste à en définir le cadre et la démarche de cette réflexion, qu'il ne pense pas se situer du côté des politiques ni des économistes, trop souvent autoproclamés experts, mais plutôt du côté des philosophes. L'existence de chacun ne se renouvellera pas en profondeur sans une clarification régulière de l'usage qui est fait du langage ordinaire. « Lorsque les mots seront clairement prononcés, le temps sera venu de ne plus se faire d'illusions », conclut Éric Chauvier.

Un texte bref, parfois cinglant, qui ne cède jamais à la facilité, et qui, sous couvert d'une critique définitive de l'utilisation dévoyée du langage, voire de l'annonce de sa fin véritable, est cependant une invitation à l'éveil nécessaire des conscience et à la lutte, ne serait-ce qu'individuelle, des intelligences contre des fantasmagories, totalement hors contexte et décontextualisées, préfabriquées et terriblement nuisibles de notre temps.
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