Ce roman mêle habilement deux évènements majeurs du 20ème siècle, la grande guerre et l'émergence du vélo comme sport et spectacle populaire. Cette trame de fond, dans laquelle se croisent, s'aiment, vivent et souffrent une galerie de personnages finement croqués, est aussi prétexte à l'évocation d'une réalité sociale rarement traitée dans la littérature. Précis, richement renseigné, on reconnait là la patte du professeur d'histoire.
Mais au delà, il y a un vrai style, un vrai caractère, jubilatoire pour le lecteur amoureux de la langue, de sa musique, de son pouvoir évocateur.
Dès l'ouverture, on tombe ainsi en arrêt sur: "Dans les guinguettes des faubourgs, rentiers et ouvriers avaient trinqué à la
Saint-jean puis s'en étaient allés pisser leur joie dans la scène".
Plus loin, "Ils (les blessés) s'agrégeaient à ce défilé chaotique jusqu'à former un charroi sanitaire qui hoquetait en sens inverse, bégayant les plus chanceux d'entre eux qui rejoignaient l'arrière en boitillant, et dégobillant tous les autres, apprêtés comme des momies, paradant contre leur gré sur des brouettes grinçantes."
Ou encore: "Enfin, sous les auspices de fumerolles taciturnes, la bête inhumaine se présenta face à sa tanière, serrant de toutes ses griffes les rails rectilignes et miaulant, dans un charivari trop aigu, un sifflement de victoire".
Je recommande vivement ce livre, premier roman dont il serait dommage qu'il n'eût pas de suite.