Lin Daiyu pile des noyaux d'abricots et des graines de sésame noir dans un mortier de marbre. Elle fait glisser le remède dans une jatte de nids d'oiseaux à l'étuvée et mélange le tout avec une cuiller de porcelaine, puis s'approche avec le récipient du lit de sa mère, près de la fenêtre. Adossée aux traversins, la mère de Daiyu boit sa potion à petites gorgées, en faisant une légère grimace. Daiyu la surveille attentivement, comme si sa vigilance pouvait renforcer l'efficacité du médicament.
Mme Lin s'allonge, épuisée par ce simple effort. «Daiyu, murmure-t-elle d'une voix presque inaudible.
- Oui ?
- Je voudrais te montrer quelque chose.
- Quoi donc ?
- Va voir au fond de ma vieille malle.»
Daiyu s'agenouille devant la penderie et ouvre le coffre délabré dans lequel la famille range ses vêtements d'hiver. Elle écarte les piles volumineuses de pantalons ouatinés et de vestes piquées et trouve un paquet plat emballé dans une étoffe de brocart pourpre.
Ses sentiments pour lui ressemblent à un doigt éraflé, se dit-elle, qui ne fait mal que lorsqu'on le heurte.
A ces mots, elle prend enfin conscience que c'est peut-être la dernière fois qu'elle le voit. Un instant, elle songe à la douceur ardente de leurs étreintes, mais elle repousse énergiquement ce souvenir. "Pars et ne reviens plus jamais !" crie-t-elle, avec toute la violence que la peur insuffle à ses mots.