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Critique de Milllie


Yongjing, petit village de campagne taïwanais le jour de la fête des Fantômes, ce jour où les âmes des défunts restés fantômes en profitent pour se glisser dans le monde des vivants. Tienwong, le petit dernier de la famille Chen, le "2e petit frère", revient pour la première fois dans son village natal qu'il a dû quitter pour l'Europe et l'Allemagne suite à la révélation de son homosexualité et au scandale que cela a provoqué. Mais en ce jour où vivants et morts se côtoient, bien des mystères restent entiers et ce retour sera aussi l'occasion de lever enfin le voile sur les secrets de la famille et du village.

Quel merveilleuse découverte que ce Ghost Town foisonnant qui sera mon premier gros coup de coeur de 2024 ! Kevin Chen (qui ressemble étrangement à son personnage et porte le même nom de famille que lui...) a construit une intrigue magistrale qui brasse et entremêle récits, secrets, histoire de l'île et légendes, commençant par nous perdre complètement pour mieux ensuite tirer un à un les fils de son histoire et lever le voile sur ses mystères. Il faut donc accepter de plonger dans Ghost Town comme dans un monde à part, de s'y perdre, d'autant que pour un Européen ce livre est tant imprégné de culture et de références taïwanaises que son approche n'est pas forcément évidente. Mais pas de panique, l'auteur a prévu au début de nous fournir la liste des personnages, tantôt désignés par leur position dans la fratrie (la première soeur, la seconde, le premier petit-frère, etc), tantôt par leur prénom ou surnom. D'un chapitre à l'autre c'est les voix des soeurs qui se répondent et racontent une vie difficile, imprégnée de tout le poids de la culture chinoise (cette mère battue et harcelée par ses beaux-parents pour ne donner que de filles à son mari...), entremêlée à l'histoire de l'île et à la terrible dictature qu'on entrevoit en toile de fond et surtout baignée de légendes diverses et multiples, ces revenants qui hantent ruisseaux et bois de bambou, ces superstitions restées vivaces ("chat mort se pend aux rameaux [de bambou], chien mort se jette à l'eau" !).

Passé la surprise initiale, je me suis vite attachée aux différents personnages, à ces soeurs si dissemblables et pourtant si marquées par leur éducation et le poids des traditions, la femme ne valant pas grand chose et dépendant entièrement du bon vouloir de son mari. On parcourt ainsi sous forme de roman choral toute l'histoire de la famille au fil des ans, tentant au fil des chapitres de reconstituer la chronologie, de comprendre les événements qui sont mentionnés et surtout de discerner ce qui est réel et ce qui fait partie des légendes. C'est là une des grandes forces de ce roman, la manière dont il arrive à entrelacer croyances et réalité, dont il se nourrit des traditions et des mythes pour expliciter le présent. La deuxième partie du récit est un vrai bonheur de lecture car elle va petit à petit expliciter les événements mystérieux disséminés au fil des pages : pourquoi Tienwong est-il en prison en Allemagne ? Comment et pourquoi a-t-il dû quitter le village ? Quelle est l'histoire de cette Maison blanche si luxueuse et pourtant maudite ? Kevin Chen maîtrise totalement son intrigue et par petites touches, sans jamais basculer dans le récit scolaire ou l'explication forcée, il va nous permettre de rassembler les pièces du puzzle qu'il a tant excellé à brasser.

Ghost Town est au final un livre que j'ai adoré, également du fait du style parfaitement maîtrisé, de ce récit tout en sensations et en descriptions, où on a l'impression d'entendre la pluie sur les toits en tôle de Taîwan, de sentir les odeurs de fruits dans le verger de caramboles ou de goûter toutes les spécialités culinaires typiques que mère puis soeurs cuisinent au fil des pages. Une vraie incursion dans la culture taïwanaise, un roman d'une richesse incroyable que j'ai presque déjà envie de relire pour mieux faire attention à tous les petits détails et surtout une réflexion intelligente et pleine de douceur sur les racines, l'exil, le déracinement, la manière dont notre famille ou notre enfance nous construisent à jamais. A découvrir et vivement le prochain roman de cet auteur !
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