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Critique de Woland


ISBN : 9782857049494


Quand il lit "Marie-Thérèse d'Autriche", le passionné d'Histoire pense le plus souvent à l'Impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, dite "la Grande", seule monarque de sexe féminin qui ait jamais occupé la première place parmi les empereurs Habsbourg et ennemie jurée de Frédéric II de Prusse qui, convenons-en, lui chercha bien des noises comme il le fit d'ailleurs à la majeure partie des souverains européens contemporains. Mais c'est à l'épouse de Louis XIV, l'infante Marie-Thérèse d'Espagne, une Habsbourg elle aussi mais de la branche ibérique de la famille, fille de Philippe IV, roi d'Espagne et de sa première femme, Elisabeth de France, et par conséquent nièce d'Anne d'Autriche, que Joëlle Chevé s'intéresse dans cette biographie que, pour ma part, je vous recommande vivement.

"Mais comment se passionner pour une figure aussi insignifiante de l'Histoire ?" diront certains qui ne cherchent guère à voir plus loin que le bout de leur nez. Infante à l'Escurial ou reine à Versailles, la pauvre Marie-Thérèse passe en effet pour avoir été laide, avec des dents toutes gâtées, d'une taille plus proche de celle de ses chers bouffons amenés de Madrid que de celle des femmes normales, avec ça embaumant un subtil arôme de chocolat et d'ail et bien entendu plus sotte que le dernier des paniers des cuisines royales. Sur le plan politique, une nullité, cela va de soi, incapable d'exercer les fonctions de régente en l'absence de son glorieux Soleil de mari. Bref, vous le voyez, le portrait est si peu flatteur qu'il dégringole vite fait dans la caricature la plus totale.

Avec patience et minutie, Joëlle Chevé reprend un à un les différents éléments qui nouèrent le destin de la nièce d'Anne d'Autriche, depuis son enfance, relativement heureuse pour une princesse de sang royal, jusqu'à son décès stupide, un abcès sous le bras que les médecins de l'époque - et plus haut on siégeait dans la société, plus vite on se retrouvait à la merci de ces ignares qui ne connaissaient que la saignée, le clystère et l'émétique, voire les trois à la fois, en une seule prise - voulurent à tous prix percer sans avoir les moyens d'en assurer la bonne cicatrisation.

Son amour pour son père, d'abord - Philippe IV le lui rendait bien - et cette éducation profondément et rigidement catholique qu'elle reçut à Madrid. Et, contrairement à ce que l'on en a dit, ce fut une éducation qui lui donnait les moyens de pouvoir gouverner le temps venu car, seule survivante des enfants du premier lit de Philippe IV, si celui-ci n'avait pas d'héritier mâle de son second mariage, c'est à Marie-Thérèse et à elle seule que serait revenu le royaume d'Espagne. Les Habsbourg ne plaisantaient pas avec le politique, surtout quand leur empire s'étendait si loin qu'il ne voyait jamais le soleil se coucher.

Son amour pour Louis XIV, son cousin germain, le seul qu'elle voulait vraiment épouser alors que, longtemps, on chercha à lui imposer tel ou tel autre cousin parmi les archiducs autrichiens, entre autres le futur empereur Léopold II. Car, nul ne le niera, Marie-Thérèse a Aimé Louis avec une majuscule : la jalousie au début, la déception ensuite, puis la résignation et jamais un mot plus haut que l'autre (sauf si le Roi-Soleil l'attaquait sur le plan de la conscience religieuse), jamais un seul refus de se montrer "en reine" à ses côtés, jamais non plus une seule tentation - au contraire de sa tante jadis - de se montrer plus espagnole que française. Fait qui parle peut-être plus que tout en faveur de la reine Marie-Thérèse : le peuple ne cessa jamais de l'aimer et de la respecter.

Il faut bien dire aussi que, même si elle ne fut jamais d'une beauté éblouissante - rien à voir avec l'altière et resplendissante Mme de Montespan par exemple - Marie-Thérèse n'avait, contrairement à ce qu'on a dit et médit à son sujet, en particulier à la Cour, rien de la petite poupée ridicule et perpétuellement agitée qui, selon la tradition, ne savait absolument pas un seul mot de français et se confinait dans ses appartements, au milieu de ses femmes et de ses médailles saintes, à se gaver de chocolat, d'oranges et ... d'ail, cuisine espagnole oblige. Ses portraits restituent une femme qui ressemble beaucoup à sa tante mais sans la joliesse, sans cette éclatante finesse de traits qui caractérisent les portraits de jeunesse d'Anne d'Autriche. Marie-Thérèse s'est empâtée assez vite mais, à la différence de sa tante, elle n'a pas attendu vingt ans pour porter son premier enfant : ceci explique en partie cela. Là où Anne coquetait et flirtait, là où elle complotait - peut-on affirmer le contraire sans mentir ? - contre son époux, Marie-Thérèse se contente d'adorer et d'enfanter. Aux relances discrètes de son père qui voudrait bien, parfois, qu'elle se montrât plus espagnole, elle répond, avec gentillesse et fermeté, qu'elle ne s'occupe point de politique et que cela est très bien ainsi.

Elle aurait pu, pourtant. Son mari ne cessait de la tromper et, pire encore, lui imposait, dans son propre carrosse, à sa table de jeu, à la chasse, pour ainsi dire à toute heure de cette gigantesque représentation qu'était la vie de cour, la présence de ses deux premières favorites, Melle de Lavallière et Mme de Montespan. Sans compter les multiples passades ... Rectifions aussi ce point capital : Marie-Thérèse n'avait aucun problème avec notre langue. Certes, elle parlait français avec un accent roulé dont elle ne se départit jamais mais elle le parlait et le comprenait fort bien. Et Louis XIV était tout de même suffisamment sûr d'elle et de ses capacités pour lui confier la régence lorsqu'il partit en Hollande, à la tête de ses troupes, en l'an de grâce 1672.

A sa manière d'ailleurs, Louis respectait sa femme. On dit qu'il ne découcha pas une seule nuit. Evidemment, il arrivait tard, vers les 3/4 heures du matin, mais il rejoignait toujours la reine. Et puis, en elle, coulait le sang des Habsbourg, ce sang dont, pour moitié également, Louis était issu, un sang prestigieux, un sang qui portait depuis tant de siècle un Empire qui, si longtemps, avait été le cauchemar du royaume de France - et le resterait encore un certain temps, jusqu'à ce que Louis XV et Choiseul inversent la vapeur et recherchent l'alliance avec l'Autriche. Simplement, comme tant d'hommes qui ne sont ni rois, ni empereurs, il ne voulait pas "être dérangé" comme il le lui dit crûment, dès le début de leur mariage.

Pas question non plus que, en la présence de Louis, ses favorites, en titre ou temporaire, manquassent de respect à la reine, sa femme, laquelle leur restait supérieure non seulement par le rang mais aussi par la naissance. Sans doute Mme de Montespan renâcla-t-elle plus d'une fois, elle dont la devise familiale était : "Avant que le monde fût monde, Mortemart portait les ondes" mais si le Roi supportait ses piques sur l'ancienneté des Bourbons avec une relative patience, il ne paraît pas avoir été aussi indulgent quand il était question des Habsbourg.

Si vous voulez un peu mieux connaître l'une des reines les plus injustement calomniées de notre Histoire et vous en faire une idée plus juste, moins partiale, lisez la biographie que Joëlle Chevé a consacrée à Marie-Thérèse d'Autriche, reine de France et de Navarre et épouse, pour l'Eternité, du Roi-Soleil. ;o)
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